Brésil : après la condamnation de Lula31/01/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/02/2583.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : après la condamnation de Lula

Mercredi 24 janvier, la cour d’appel de Porto Alegre a confirmé et aggravé la condamnation de Lula pour corruption, la portant à douze ans et un mois de prison. Le lendemain, son passeport lui était retiré. L’accusation repose sur la dénonciation d’un repenti : en échange de marchés publics, une entreprise de construction aurait fait cadeau à Lula d’un appartement triplex.

Le plus clair dans cette affaire est qu’il s’agit d’un procès politique. Lula est depuis quarante ans un des principaux hommes politiques brésiliens. Il a été président de 2003 à 2010. Et surtout, avec 36 % dans les sondages, il est le favori pour la présidentielle d’octobre prochain. Or cette condamnation risque de lui interdire de se présenter.

La décision des juges a déclenché les manifestations opposées des pro et des anti-Lula. Les seconds veulent en finir avec ce héros de la gauche, cet enfant du Nordeste immigré à Sao Paulo, ouvrier, syndicaliste, opposant à la dictature militaire et animateur des grandes grèves de 1978-1980. Les premiers dénoncent un procès truqué mené par l’élite bourgeoise pour éliminer un dirigeant favorable au peuple.

Pour le moment, les manifestations mobilisent surtout des appareils : pour Lula, les cadres du Parti des travailleurs (PT) et de la Centrale unique des travailleurs (CUT) ; contre lui, des cercles limités de droite et d’extrême droite. Mais les masses, et en particulier la classe ouvrière, ne se font entendre ni pour ni contre.

Si les travailleurs ne se mobilisent pas plus en faveur de celui qui a été leur leader il y a quelque quarante ans, c’est qu’ils ont été désorientés et en partie dégoûtés par la politique procapitaliste qu’il a menée au pouvoir. Sous la présidence de Lula, les patrons des usines, des mines et des champs, les banquiers et les spéculateurs ont fait des fortunes. Les petites gens n’ont eu que des miettes, même si beaucoup lui en sont reconnaissants.

Bien des gens aussi ont été révoltés par la corruption des politiciens, révélée par des scandales dont le dernier est l’affaire Petrobras, autour de la compagnie nationale pétrolière. Ils pensent que, même si Lula est peut-être intègre personnellement, il n’a pas pu ignorer le système de corruption qui l’entourait.

Et puis ce sont des gouvernements PT, soutenus par la CUT, qui ont préparé le chômage et les bas revenus actuels. Il y a officiellement douze millions de chômeurs, 12 % des salariés. La réforme du droit du travail, préparée par Dilma Rousseff (PT) et son équipe et mise en place par son vice-président et successeur, Temer, en novembre 2017, a permis au patronat de supprimer en décembre 328 000 postes de travail. La réforme des retraites que Temer voudrait faire voter sort elle aussi des cartons du PT. Il y a de quoi s’interroger sur l’utilité d’un gouvernement se disant de gauche.

De leur côté, les cercles dirigeants de la bourgeoisie ne sont pas tous partisans d’écarter Lula de la prochaine présidentielle. D’abord parce qu’il a bien fait le travail pour eux, et souvent avec eux. Ensuite, ils n’ont pas de candidat crédible qui les rassemble. Certains de leurs leaders sont en prison pour corruption, ou sont visés par des enquêtes, beaucoup plus déconsidérés que Lula. Du coup, certains dirigeants de la droite, comme l’actuel président Temer et l’ancien président Cardoso, se sont prononcés contre la condamnation de Lula. Ils craignent que son exclusion de l’élection ne déstabilise le pays, faisant passer le débat dans la rue, comme Lula et ses amis les en menacent à mots couverts.

Le camp des anti-Lula n’est pas non plus attrayant. Il y a là un secteur de la droite extrême qui s’était déjà montré dans les manifestations anticorruption de 2015-2016. Ces gens-là sont contre les travailleurs, contre les pauvres, contre toute politique sociale. Nostalgiques de la dictature militaire, leur héros est le député Jair Bolsonaro, ex-militaire, raciste, odieux vis-à-vis des femmes et des homosexuels, apologiste de la torture. Il serait le candidat de 17 % des Brésiliens.

Lula continue de se battre et dit qu’il sera candidat. Il n’a pas épuisé tous les recours. Mais, au-delà des élections de l’automne prochain, les travailleurs brésiliens restent confrontés à ce choix impossible entre une fausse gauche corrompue et une vraie droite antiouvrière.

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