Pérou : le dictateur grâcié03/01/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/01/2579.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pérou : le dictateur grâcié

En 2009, l’ex-président-dictateur de la République péruvienne, Alberto Fujimori, avait été condamné à vingt-cinq ans de prison pour crimes contre l’humanité. Huit ans après, l’actuel président du Pérou, Pedro Pablo Kuczynski, vient de le gracier. Cette décision a déclenché une série de manifestations, auxquelles participent notamment les parents des opposants que Fujimori a fait assassiner.

Fujimori avait présidé le Pérou de 1990 à 2000. En 1992, il avait organisé un coup d’État, en s’appuyant sur l’armée, s’octroyant les pleins pouvoirs en dissolvant la Chambre des députés et en muselant le pouvoir judiciaire. Ministres, juges et journalistes devaient désormais être dans ses bonnes grâces.

Sa répression de la sanglante guérilla du Sentier lumineux l’avait d’abord rendu populaire mais, en l’étendant aux opposants politiques et aux militants ouvriers, il s’était discrédité. Sa politique de stérilisation forcée de 300 000 femmes pauvres lui avait aliéné les soutiens populaires. Il était alors apparu clairement pour ce qu’il était : un dictateur sans scrupule et un corrupteur achetant des soutiens grâce aux fonds provenant du trafic de drogue.

En 2000, pour ne pas être rattrapé par la justice pour corruption, il annonça sa démission depuis le Japon, où il se terra jusqu’en 2005. Ce n’est qu’en 2007 qu’il fut ramené au Pérou et condamné en 2009. Dans le contexte d’une guerre civile qui dura de 1980 à 2000 et qui fit 70 000 morts, il avait mis sur pied un escadron de la mort chargé de traquer les guérilleros et d’assassiner des opposants. Il fut reconnu coupable de deux massacres qui firent l’un quinze morts, dont un enfant de 8 ans, et de l’enlèvement et du meurtre de huit étudiants et d’un universitaire, dont les corps furent retrouvés calcinés. Il fut également condamné pour l’enlèvement d’un journaliste et d’un chef d’entreprise. Ces crimes avaient eu lieu dans la seule période de 1991-1992, ce qui en laissait bien d’autres de côté. Officiellement, la grâce lui a été accordée pour des raisons d’humanité. Mais la véritable raison est probablement autre. L’actuel président, élu il y a seulement un an, l’a été à la tête d’un front anti-Fujimori. La fille de ce dernier, Keiko, était candidate et avait cristallisé sur son nom le mécontentement populaire, ce qui a profité à Kuczynski. Mais à présent lui-même est à son tour discrédité.

Il vient d’échapper à une motion de censure le visant pour avoir bénéficié des largesses du groupe brésilien Odebrecht, qui a acheté des dizaines d’hommes politiques dans toute l’Amérique latine pour accéder à des marchés. Ce qui a sauvé Kuczynski, c’est l’abstention de dix députés partisans de Fujimori, parmi lesquels le fils du dictateur, Kenji. Trois jours après, le père était gracié. Au royaume de la corruption, le hasard fait bien les choses.

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