Les grèves de novembre-décembre 1947 en France27/12/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/12/2578.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 70 ans

Les grèves de novembre-décembre 1947 en France

Il y a soixante-dix ans, en novembre et décembre 1947, une vague de grèves paralysait pendant plusieurs semaines une grande partie de la France. Les années d’après-guerre étaient pour la classe ouvrière des années difficiles, des années de surexploitation au service de la « reconstruction du pays », autrement dit de la remise sur pied de l’économie et des profits de la bourgeoisie française. Elles se traduisirent entre autres par la croissance des chiffres de la mortalité infantile, des maladies, des accidents du travail.

L’hiver 1946-1947 fut marqué par des difficultés d’approvisionnement en viande, charbon, électricité, farine. Les files d’attente réapparurent devant les boulangeries. La carte d’alimentation, créée pendant la guerre pour réglementer le ravitaillement, avait toujours cours. Avec l’inflation quasi permanente, le pouvoir d’achat des salariés s’effritait rapidement. Le niveau de vie ouvrier, qui correspondait à la fin de la guerre à 60 % de celui d’avant-guerre, retomba à 50 % en mai 1947.

Le PCF et la « bataille de la production »

Le Parti communiste français, au gouvernement depuis 1944, avec de Gaulle d’abord puis avec le Parti socialiste et le parti de centre-droit MRP, s’était mis au service de la bourgeoisie pour remettre l’économie capitaliste en selle. Il justifiait la « bataille de la production », avec comme mot d’ordre : « Produire d’abord, revendiquer ensuite ». C’était l’époque où le secrétaire du PCF Maurice Thorez déclarait que la grève était « l’arme des trusts ».

L’aggravation des conditions de vie des travailleurs se traduisit, malgré l’opposition de la CGT, par des mouvements de grève dans le Livre, les banques, les minoteries, les ports, les chemins de fer, les blanchisseries, la métallurgie, les fonctionnaires.

C’est dans ce contexte qu’en avril 1947 une grève éclata dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt, à l’initiative de militants trotskystes liés à l’Union communiste (UC). Le courant qui allait donner naissance à Voix ouvrière, puis après 1968 à Lutte ouvrière. Les travailleurs réclamaient une augmentation de salaire. Cette fois, la CGT et le PCF n’arrivèrent pas à empêcher la grève de se prolonger et de s’étendre. En quelques jours, tout Renault était en grève. La CGT fut contrainte de se rallier au mouvement et le PCF d’apporter son appui aux « revendications légitimes » des grévistes : s’ils persistaient dans la dénonciation d’une grève pour les salaires qu’ils avaient qualifiée de provocatrice, ils risquaient de perdre tout crédit dans la classe ouvrière.

Après Renault, d’autres usines de la métallurgie suivirent. Une vague de grèves spontanées se développa dans plusieurs villes de province, suscitées par la baisse ininterrompue du pouvoir d’achat ouvrier.

Le PCF soutenait désormais publiquement ces grèves, craignant les débordements. Mais surtout, soucieux de les contrôler, il déclarait « agir avec prudence afin de ne pas permettre que la classe ouvrière soit entraînée dans les mouvements prématurés ».

Le fait de soutenir publiquement des grévistes revendiquant des augmentations de salaire était, de la part du PCF, prendre position contre la politique de blocage des salaires du gouvernement. Prenant prétexte de cette rupture de la solidarité gouvernementale, le 4 mai, le gouvernement révoqua les ministres du PCF par un décret publié le lendemain au Journal officiel.

Le renvoi des ministres du PCF

Ce renvoi des ministres communistes s’inscrivait dans le contexte des débuts de la guerre froide, c’est-à-dire de la fin de l’alliance entre les USA et l’URSS. Le 12 mars, le président américain Truman avait lancé la politique « d’endiguement » du communisme : c’était une déclaration de guerre froide.

Les dirigeants du PCF n’en continuèrent pas moins de réclamer leur retour au gouvernement, arguant que leur parti était « le meilleur défenseur de l’intérêt national ». Écarté du gouvernement, le PCF ne joua plus aussi ouvertement le rôle de frein qui avait été le sien en tant que parti membre du gouvernement. En même temps, il voulait démontrer la nécessité de l’y faire revenir, en tant que parti capable de contrôler les réactions ouvrières de mécontentement.

Celles-ci finirent par déboucher en novembre sur une explosion générale. Le mouvement éclata d’abord à Marseille, où une manifestation contre le relèvement des prix des tramways déboucha sur une véritable émeute. Des militants de la CGT ayant été arrêtés et poursuivis, des manifestants envahirent le palais de justice, l’hôtel de ville, et s’en prirent au nouveau maire (de droite). La ville parut pour un temps sous leur contrôle.

Les 12 et 13 novembre le comité confédéral national de la CGT lançait une plate-forme revendicative. Elle réclamait l’établissement d’un salaire minimum vital mensuel et la révision trimestrielle des salaires, pour garantir le pouvoir d’achat contre l’inflation.

La grève se propagea dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. Le 24 novembre, l’industrie houillère était totalement paralysée. Le 27 novembre, la CGT mit en place un comité central national de grève, censé coordonner et prendre la tête d’un mouvement qui, en fait, lui échappait.

La grève s’étendit à la métallurgie parisienne. Elle éclata chez Ford à Poissy, chez Simca à Nanterre, chez Renault à Boulogne-Billancourt, chez les dockers, dans le textile, la chimie, l’alimentation, le bâtiment et certains services publics. À la fin novembre, trois millions de travailleurs étaient en grève, réclamant essentiellement des hausses de salaire et l’amélioration du ravitaillement.

Les CRS contre les grévistes

Le mouvement ne se limita pas aux grèves et aux occupations d’usines, il fut aussi marqué, dans un certain nombre de villes, par des manifestations, parfois de véritables émeutes contre le gouvernement, avec souvent l’occupation de bâtiments publics, de préfectures, de gares, et des affrontements avec la police envoyée contre les manifestants.

Le gouvernement fut dirigé par le MRP Robert Schuman à partir du 22 novembre. Avec son ministre de l’Intérieur, le socialiste Jules Moch, il mobilisa contre les grévistes et les manifestants l’armée et les réservistes et, pour la première fois, les compagnies de CRS qui avaient été créées en décembre 1944, avec pour mission le maintien de l’ordre.

La répression causa la mort de quatre grévistes et fit de nombreux blessés. Selon les chiffres du ministre de l’Intérieur, 1 375 personnes furent arrêtées lors des semaines de grève et 147 seulement furent relaxées. Il y eut aussi des licenciements et des sanctions dans les entreprises. L’Humanité du 14 décembre parlait d’une « pluie de sanctions » et ajoutait : « Par centaines, les travailleurs sont suspendus, révoqués, renvoyés des administrations et des usines. »

Le gouvernement dénonçait le caractère « insurrectionnel » du mouvement. Jules Moch accusait le PCF de vouloir créer une situation révolutionnaire afin de s’emparer du pouvoir. Mais, si le PCF et la CGT furent effectivement de toutes les grèves à ce moment-là, ils n’étaient pas devenus révolutionnaires. Il s’agissait pour le PCF, face à la bourgeoisie et au gouvernement, de reconquérir parmi les travailleurs le crédit et l’influence que sa politique antiouvrière au service du redémarrage de l’économie capitaliste avait compromis.

Les dirigeants de la CGT n’appelèrent d’ailleurs jamais à la grève générale. Pour éviter de prononcer le mot, ils préféraient appeler à la « grève totale ». Tout en accompagnant les coups de colère de la classe ouvrière, voire en étant à l’initiative de certains, ils ne firent rien pour coordonner les luttes et pour faire en sorte que cette vague de grèves se transforme en une véritable grève générale, susceptible de mettre en danger le gouvernement.

Finalement, le comité central national de grève de la CGT appela à la reprise du travail le 9 décembre, alors qu’il restait encore un million et demi de grévistes.

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