Haïti, octobre 1957 : le début de la dictature Duvalier08/11/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/11/2571.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 60 ans

Haïti, octobre 1957 : le début de la dictature Duvalier

Le 22 octobre 1957, François Duvalier, que la population surnomma Papa doc, instaura en Haïti son régime de terreur. Sa dictature sanglante, qui se prolongea par celle de son fils, ne put durer de longues années que grâce au soutien de l’impérialisme américain, dont les dirigeants voyaient en lui le champion de l’anticommunisme dans les Caraïbes.

Un siècle et demi auparavant, les esclaves révoltés de la riche colonie française avaient vaincu l’armée de Napoléon et fondé la première république noire, mais n’avaient pu profiter de leur victoire. Le pouvoir était tombé entre les mains des officiers de la guerre d’indépendance et d’une aristocratie de mulâtres et d’affranchis, déjà privilégiés à l’époque coloniale.

Haïti, terre de misère et de révolte

Les paysans qui constituaient la majorité de la population durent survivre sur de misérables lopins de terre. Le colonialisme et l’esclavage étaient désormais du passé, mais les puissances impérialistes dominaient toujours l’économie. L’État haïtien était étranglé par la dette imposée par la France sous prétexte de dédommager les anciens maîtres d’esclaves.

Les navires de guerre français, anglais, américains ou allemands paradaient sur les côtes, toujours prêts à intervenir. En 1915, profitant du fait que leurs rivaux impérialistes s’entretuaient en Europe, les USA occupèrent militairement l’île avant d’en garder le contrôle jusqu’en 1934. Dans cet océan de misère, les révoltes partant des bidonvilles surpeuplés qui ne cessaient de s’étendre dans la capitale Port-au-Prince n’étaient pas rares, mais n’aboutissaient qu’à porter une nouvelle clique au pouvoir.

Les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale furent une période d’effervescence, à Haïti comme dans bien des régions du monde. À Port-au-Prince était apparue une bourgeoisie noire. Elle pensa que le moment était venu d’écarter les riches mulâtres retranchés sur leurs positions. Des partis se créèrent alors, dont le Mouvement Ouvrier et Paysan (MOP) de François Fignolé, qui se proclamait le champion des Noirs pauvres contre les riches mulâtres. Ses discours enflammés jetaient dans la rue les masses pauvres des bidonvilles, aux cris de « Vive Fignolé, à bas la misère ».

Fignolé utilisait la colère des masses pauvres dans son seul intérêt, et se vantait de n’avoir qu’à appuyer sur un bouton pour jeter dans la rue ceux qu’il appelait avec mépris « son rouleau compresseur ». C’est ce parti que rallia François Duvalier. Il n’était alors qu’un obscur médecin, membre d’une mission américaine de lutte contre une maladie tropicale, le pian, et par ailleurs spécialiste reconnu du vaudou, mais Fignolé sut reconnaître en lui un politicien prometteur et en fit l’un des dirigeants de son mouvement. Un temps secrétaire général du MOP, il devint ministre du gouvernement mis en place par l’armée en 1946, et rompant avec Fignolé, demeura à ce poste jusqu’au coup d’État du général Magloire en 1950.

Les élections portent Duvalier au pouvoir

En 1955, une grève générale força le général Magloire à s’exiler, et dans les élections qui suivirent quatre candidats s’affrontèrent, dont Louis Dejoie, le candidat de la grande bourgeoisie mulâtre. C’était un personnage arrogant, et l’élite reconnaissait en lui son fils. Il avait le soutien des États-Unis, mais l’armée le trouvait trop encombrant et craignait pour ses propres intérêts. Clément Jumelle, l’ex-ministre des Finances du gouvernement précédent, était aussi en lice, ainsi que Daniel Fignolé qui s’appuyait toujours sur les bidonvilles de la capitale.

Quant à Duvalier, dans ces élections, il se fit le champion du « noirisme », une formule mélangeant la revanche des Noirs sur les Mulâtres et les Blancs, le vaudou et des promesses de justice sociale. Ce discours parlait à la petite bourgeoisie noire, rejetée à cause de sa couleur. Duvalier eut également le soutien de l’armée, qui pensait pouvoir le manipuler à son aise. Il fut élu avec près de 70 % des voix.

Duvalier, arrivé au pouvoir avec le soutien de l’armée, n’entendait cependant pas jouer les marionnettes pour se voir ensuite déposé par un coup d’État militaire comme tant de ses prédécesseurs. Il mit donc en place sa propre milice privée. Pendant sa campagne électorale, ses nervis masqués recrutés au sein du lumpenprolétariat avaient terrorisé les opposants. Une fois au pouvoir, Duvalier institutionnalisa cette force armée dont les membres troquèrent les cagoules pour un accoutrement comprenant les lunettes de soleil portées même la nuit, les chapeaux mous et le pistolet accroché à la ceinture. Officiellement ils se nommaient les « Volontaires de la sécurité nationale » mais la population les surnomma rapidement les « tontons macoutes », du nom d’un père fouettard tiré de la mythologie vaudou et utilisé pour terroriser les enfants.

Recrutés dans les bas-fonds de la capitale, encadrés par des petits bourgeois et des fonctionnaires prêts à profiter des avantages que leur assurait l’impunité totale dont ils jouissaient, les tontons macoutes firent bientôt régner la terreur dans toutes les couches de la société. Les opposants qui auraient pu contester le pouvoir de Duvalier ne furent pas les seuls visés. Nul n’était à l’abri, pas plus les riches notables que les habitants de bidonvilles, pas plus les cadres de l’armée que le clergé ou les étudiants et leurs professeurs. N’importe qui pouvait à tout moment sentir la main d’un tonton macoute se poser sur son épaule pour l’emmener au commissariat, où le choix lui était laissé entre la satisfaction des désirs des nervis ou le passage en chambre de torture. Les voyous des bidonvilles tenaient le haut du pavé, mais toute une couche de bourgeoisie noire s’enrichit alors dans les trafics et prit place à côté de l’habituelle bourgeoisie mulâtre.

Les USA soutiennent la dictature

La terreur que faisait régner Duvalier n’aurait cependant pas suffi à lui assurer un aussi long règne sans le soutien des dirigeants américains. Parfois ceux-ci firent mine de prendre leurs distances, mais dans les faits ils ne cessèrent d’équiper l’armée de Duvalier et, par la même occasion, ses hommes de main, et de verser à Haïti des sommes dont ils savaient pertinemment qu’elles allaient directement dans le coffre-fort du dictateur. Dans le contexte de l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959 et du développement des guérillas en Amérique latine, Duvalier était pour les États-Unis une valeur sûre. Ils étaient prêts à tout pour conserver leur mainmise sur les Caraïbes, et le prouvèrent en envoyant leurs Marines réprimer directement le soulèvement de la population de Saint-Domingue, le pays voisin d’Haïti, en 1965. Duvalier leur semblait un rempart contre de tels soulèvements, du fait même de la brutalité de sa dictature. Ce régime de terreur garantissait d’autre part une main-d’œuvre bon marché aux entreprises américaines et françaises dans les zones industrielles de Port-au-Prince.

Lorsque François Duvalier mourut, en avril 1971, le pouvoir passa entre les mains de son fils, surnommé « Bébé doc », qui continua à piller le pays comme l’avait fait son père, y ajoutant simplement les ressources tirées du trafic de stupéfiants. Mais en 1986, la colère accumulée pendant ces longues années de dictature finit par exploser et Bébé doc, lâché par les USA, dut s’enfuir. Pendant qu’il trouvait un asile doré sur la Côte d’Azur française, la population haïtienne sortait exsangue de la dynastie Duvalier, en proie à la malnutrition, à l’analphabétisme et à des maladies comme la tuberculose ou la lèpre. C’était le bilan des Duvalier père et fils, mais aussi celui de la politique de l’impérialisme américain.

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