Leur société

Travailleurs détachés : l’exploitation va continuer

Après une longue nuit de tractations, les ministres européens du Travail ont annoncé le 24 octobre une réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Macron, qui avait fait de ce sujet son cheval de bataille au sein de l’Union européenne (UE), s’est félicité d’un « accord ambitieux » qui offrirait « plus de protection, moins de fraude ».

Se poser en protecteur des travailleurs après avoir signé des ordonnances qui permettent aux patrons d’exploiter davantage leurs salariés et de les licencier à leur guise, il fallait oser ! En réalité, Macron défend les intérêts d’une fraction des patrons français, en premier lieu ceux du BTP ou du transport routier, qui se plaignent d’une « concurrence déloyale et faussée ».

En vigueur depuis 1996, l’ancienne directive permet à des sociétés d’employer temporairement des travailleurs venus d’autres États membres de l’UE. Ils sont en principe payés au salaire minimum en vigueur dans l’État où ils travaillent, mais restent affiliés au régime de protection sociale de leur pays d’origine. Dans la pratique, ces travailleurs sont sur­exploités, ne touchent ni primes ni indemnités et sont logés dans des conditions indignes pour lesquelles on retient des frais sur leur paie.

Entre 2010 et 2014, le nombre de travailleurs détachés a augmenté de 45 % en Europe pour atteindre 1,9 million. En 2015, ils étaient 290 000 en France, 25 % de plus que l’année précédente. Si la majorité viennent de Pologne, d’Espagne ou de Slovénie, certains sont en fait français, mais embauchés par des agences basées au Luxembourg. Le plus grand contingent de travailleurs détachés est employé dans le BTP, puis dans l’industrie et l’aide à la personne.

Des chantiers navals STX de Saint-Nazaire à Bouygues, le roi du béton, en passant par une kyrielle de petites sociétés, la directive de 1996 a permis à de multiples patrons de s’enrichir en exploitant les travailleurs détachés. Mais trop de liberté d’exploiter finit par devenir une menace pour les affaires ! Comme l’exprimait le président de la fédération du BTP de Haute-Garonne : « Nous ne sommes pas contre le travail détaché. En revanche, il y a des règles qui existent et qui ne sont pas respectées (...) Quand on voit arriver un bus entier sur un chantier, on peut supposer qu’il y a fraude, avec des travailleurs payés 8 euros de l’heure, au lieu de 25 euros et (…) qui dorment dans des caravanes au pied des chantiers. »

Autrement dit, ces patrons réclament le droit d’exploiter proprement leurs travailleurs et des contrôles contre les fraudes multiples de leurs concurrents. C’est visiblement pour lutter contre ces fraudes de plus en plus massives et qui rendent la concurrence « déloyale », que Macron tenait à modifier la directive.

La nouvelle version, qui ne sera pas applicable avant quatre ans et exclut entièrement le transport routier, prévoit que les travailleurs détachés perçoivent, outre le même salaire, toutes les primes, le treizième mois, les frais de repas ou d’hébergement de leurs camarades de travail. Elle limite à douze mois, prolongeables de six mois, le recours à des travailleurs détachés. La moyenne actuelle étant de quatre mois, cela ne changera pas grand-chose. Le dernier volet, c’est justement le renforcement de la lutte contre la fraude, réclamé à cor et à cri par les patrons.

Si elle finit par être appliquée, cette nouvelle mouture aidera peut-être certains travailleurs à se défendre contre l’exploitation. Mais, qu’ils soient détachés ou pas, pour défendre leurs intérêts ils ne doivent pas compter sur une directive. Leurs luttes collectives et leur solidarité de classe, par-delà les frontières et par-delà leur statut juridique, seront plus efficaces.

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