Les premiers actes du pouvoir ouvrier25/10/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/10/2569.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

1917 : la révolution russe au fil des semaines

Les premiers actes du pouvoir ouvrier

Au lendemain de l’insurrection d’Octobre, le 25 octobre (7 novembre selon notre calendrier), s’ouvrait à Petrograd le deuxième congrès des soviets. Ceux-ci prenaient ainsi tout le pouvoir en main. Voici le récit qu’en fait Trotsky dans son Histoire de la Révolution russe :

« Le 25 octobre devait s’ouvrir à Smolny le Parlement le plus démocratique de tous ceux qui ont existé dans l’histoire mondiale.

(…) De l’armée et du front, à travers le blocus des comités d’armée et des états-majors, c’étaient presque uniquement des soldats du rang qui faisaient leur percée comme délégués. Dans leur majorité, ils n’avaient accédé à la vie politique que depuis la révolution. Ils avaient été formés par l’expérience de huit mois. Ce qu’ils savaient était peu de choses, mais ils le savaient solidement. L’apparence extérieure du congrès en démontrait la composition. Les galons d’officier, les lunettes et les cravates d’intellectuels du premier congrès avaient presque complètement disparu. (…) Les délégués des tranchées n’avaient pas l’air très présentables : pas rasés depuis longtemps, couverts de vieilles capotes déchirées (...). La nation plébéienne avait envoyé pour la première fois une représentation honnête, non fardée, faite à son image et ressemblance.

(…) Au moment de l’ouverture, l’on comptait 650 participants ayant voix délibérative. Il revenait aux bolcheviks 390 délégués ; loin d’être tous membres du parti, ils étaient en revanche la substance même des masses (…). Nombreux étaient ceux des délégués qui, étant arrivés avec des doutes, achevaient rapidement de mûrir dans l’atmosphère surchauffée de Petrograd. (…)

Lounatcharsky trouve enfin la possibilité de lire à haute voix un appel aux ouvriers, aux soldats, aux paysans. Mais ce n’est pas simplement un appel : par le seul exposé de ce qui s’est passé et de ce que l’on prévoit, le document, rédigé à la hâte, présuppose le début d’un nouveau régime étatique. “Les pleins pouvoirs du Comité exécutif central conciliateur ont expiré. Le gouvernement provisoire est déposé. Le congrès prend le pouvoir en main.” Le gouvernement soviétique proposera une paix immédiate, remettra aux paysans la terre, donnera un statut démocratique à l’armée, établira un contrôle sur la production, convoquera en temps opportun l’assemblée constituante, assurera le droit des nations de la Russie à disposer d’elles-mêmes. “Le congrès décide que tout le pouvoir, dans toutes les localités, est remis aux soviets.” […]

Lénine reçoit la parole pour traiter de la paix. Son apparition à la tribune soulève des applaudissements interminables. Les délégués des tranchées regardent de tous leurs yeux l’homme mystérieux qu’on leur a appris à détester et qu’ils ont appris, sans le connaître, à aimer. S’agrippant solidement au bord du pupitre et dévisageant de ses petits yeux la foule, Lénine attendait, sans s’intéresser visiblement aux ovations incessantes qui durèrent plusieurs minutes. Quand la manifestation fut terminée, il dit simplement : “Maintenant, nous allons nous occuper d’édifier l’ordre socialiste.” […]

Écoutez, peuples ! La révolution vous invite à la paix. Elle sera accusée d’avoir violé les traités. Mais elle en est fière. Rompre avec de sanglantes alliances de rapaces – c’est un grand mérite dans l’histoire. Les bolcheviks osèrent. Ils furent seuls à oser. La fierté éclate dans les cœurs. Les yeux s’enflamment. […] “Brusquement, sur une impulsion générale – racontera bientôt John Reed, observateur et participant, chroniqueur et poète de l’insurrection – nous nous trouvâmes tous debout, reprenant les accents entraînants de l’Internationale. Un vieux soldat aux cheveux gris pleurait comme un enfant. Alexandra Kollontaï cillait rapidement des yeux pour ne pas pleurer. La puissante harmonie se répandait dans la salle, perçant vitres et portes, et montant bien haut vers le ciel.

Était-ce vers le ciel ? Plutôt vers les tranchées d’automne qui découpaient la misérable Europe crucifiée, vers les villes et villages dévastés, vers les femmes et les mères en deuil. “Debout, les damnés de la terre ; debout, les forçats de la faim !” Les paroles de l’hymne s’étaient dégagées de leur caractère conventionnel. Elles se confondaient avec l’acte gouvernemental. C’est de là que leur venait leur sonorité d’action directe. Chacun se sentait plus grand et plus significatif en ce moment-là. Le cœur de la révolution s’élargissait au monde entier. »

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