L’insurrection d’Octobre à Petrograd18/10/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/10/2568.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

L’insurrection d’Octobre à Petrograd

L’insurrection d’Octobre était préparée par le Comité militaire révolutionnaire (CMR), en étroite liaison avec le soviet de Petrograd et la direction du Parti bolchevique, siégant comme lui au palais Smolny. Le plan, qui devait être déclenché dans la nuit du 24 au 25 octobre, reposait sur l’action conjointe des détachements ouvriers de la Garde rouge, de la garnison de Petrograd et des marins de la Baltique. Mais les premiers actes de l’insurrection interviennent en réalité dès la matinée du 24 octobre, en réaction à des tentatives de coup de force du gouvernement provisoire, par exemple contre des imprimeries bolcheviques, ou encore aux mouvements de troupes autour de la capitale, comme le souligne Trotsky, alors président du soviet de Petrograd, dans son Histoire de la révolution russe et dans L’avènement du bolchevisme.

« Au palais d’Hiver, Kerenski réunissait des élèves des écoles militaires, des officiers et des membres du régiment de choc féminin. (…)

On rappela du front deux nouveaux bataillons cyclistes, une batterie antiaérienne, on essaya d’en faire revenir des unités de cavalerie… En chemin, les cyclistes télégraphièrent au soviet de Petrograd : “On nous dirige sur Petrograd, ne savons pas pourquoi, prière envoyer éclaircissements.” Nous leur avons dit de s’arrêter et d’envoyer une délégation à Petrograd. Leurs représentants arrivèrent et déclarèrent en séance du soviet que le bataillon était entièrement de notre côté. Cela suscita une tempête d’enthousiasme. On enjoignit au bataillon de rejoindre immédiatement la ville. (…)

Le ministère de la Marine donna au croiseur Aurore l’ordre de prendre la mer et de sortir des eaux de Petrograd. L’équipage nous en avisa aussitôt. Nous annulâmes cet ordre, et le croiseur resta sur place, prêt en permanence à mettre toute sa force combattante au service du pouvoir des soviets. »

Le palais Smolny, état-major de l’insurrection

Dans la journée du 24, selon les mots du bolchevik Raskolnikov, le palais de Smolny est transformé en camp retranché : « Au dehors, devant les colonnes, des canons positionnés. Près d’eux, des mitrailleuses. Une mitrailleuse à l’intérieur, canon pointé vers la porte d’entrée. (…) Dans tous les couloirs, l’allure rapide, bruyante, enthousiaste, des soldats et des ouvriers, des matelots et des agitateurs. »

De partout arrivent des délégués ouvriers, prêts à recevoir les instructions du CMR : « À Smolny, dans la chambre des comités de fabrique et d’usine, des délégués des entreprises faisaient la queue pour obtenir des bons de livraison d’armes. La capitale avait vu, pendant les années de guerre, bien des gens qui faisaient la queue : maintenant, pour la première fois, on la faisait pour avoir des fusils. »

Les ouvriers et les soldats s’emparent du pouvoir

Dans la soirée du 24 octobre, l’insurrection est déclenchée. Les révolutionnaires prennent le contrôle de la centrale des télégraphes et de l’agence télégraphique gouvernementale : « Deux soldats du régiment suffirent, fusil en main, auprès d’un commutateur, pour obtenir un compromis provisoire avec les fonctionnaires hostiles du télégraphe, parmi lesquels il n’y avait pas un seul bolchevik. (…) Les principales opérations commencèrent vers deux heures du matin. Par petits groupes militaires, ordinairement avec un noyau d’ouvriers armés ou de matelots, sous la direction de commissaires, l’on occupe simultanément ou consécutivement les gares, la centrale d’électricité, les arsenaux et les entrepôts d’approvisionnement, le service des eaux, le pont du Palais, la centrale des téléphones, la banque d’État, les grandes imprimeries, et l’on s’assure des télégraphes et de la poste. Partout, l’on place une garde sûre. »

Les points principaux de la ville passent ainsi entre les mains des insurgés en quelques heures, pratiquement sans résistance, sans combat ni victimes. L’insurrection, qui a été ouvertement annoncée et préparée lors d’innombrables meetings tenus par les bolcheviks, est accueillie partout avec enthousiasme. Trotsky cite l’occupation du journal réactionnaire Rousskaïa Volia, qui a été confiée au dernier moment, pour ne pas être ébruitée, au régiment Semenovsky de la Garde : « L’imprimerie, on en avait besoin pour la publication du journal bolcheviste en grand format et à gros tirage. Les soldats faisaient déjà leurs préparatifs pour se coucher. Le commissaire leur exposa brièvement le but de sa mission : “Je n’eus pas le temps de finir que de tous côtés retentissaient les hourras. Les soldats se dressaient et m’entouraient étroitement.” Un camion automobile surchargé d’hommes du régiment Semenovsky arriva à l’imprimerie. Dans la salle des rotatives s’assembla bientôt l’équipe de nuit. Le commissaire exposa pourquoi il était venu. “Ici encore, comme à la caserne, les ouvriers répondirent par des hourras et au cri de : Vivent les soviets.” »

Mencheviks et SR : avec la bourgeoisie contre l’insurrection

Au même moment, en pleine nuit, se tient la séance préliminaire du deuxième congrès panrusse des soviets qui doit s’ouvrir le lendemain et où la majorité est désormais assurée au Parti bolchevik. Trotsky y annonce le déclenchement de l’insurrection.

Les partisans du gouvernement provisoire protestent et quittent la salle les uns après les autres. Dans la nuit, ils proclament un Comité pour le salut du pays et de la révolution, se réunissant avec les bourgeois du Parti cadet à la Douma. Le journaliste John Reed s’y rend et observe : « Rien n’était plus frappant que le contraste entre cette foule et le congrès des soviets. Là-bas, la grande masse de soldats en vêtements usés, d’ouvriers crasseux, de paysans : des hommes pauvres, courbés et marqués dans leur chair par la lutte brutale pour l’existence ; ici, les chefs mencheviks et SR – les Avksentiev, les Dan, les Lieber – les anciens ministres socialistes, les Skobelev, les Tchernov, faisant bon ménage avec les cadets tels que l’huileux Chatski, l’insinuant Vinaver, avec des journalistes, des étudiants, des intellectuels de presque toutes les tendances. Ces gens de la Douma étaient bien nourris, bien vêtus ; parmi eux, je ne comptai pas plus de trois prolétaires. »

Tout le pouvoir aux soviets !

Dans la journée du 25 octobre, quelques combats se poursuivent autour du palais d’Hiver où est retranché le gouvernement provisoire, protégé par les dernières troupes qui lui sont encore fidèles. Quelques dizaines de victimes tombent alors, de part et d’autre. Mais plusieurs coups de canon tirés du croiseur Aurore et la détermination des insurgés emportent la victoire. Les ministres du gouvernement provisoire sont arrêtés. Kerenski réussit à prendre la fuite et part au front où il espère encore rassembler des troupes. Le 2e congrès des soviets, acclamant l’insurrection victorieuse, prend alors tout le pouvoir entre ses mains.

Depuis le matin du 25 octobre, une proclamation signée du Comité militaire révolutionnaire circule dans les rues de la capitale :

« Aux citoyens de Russie

Le gouvernement provisoire est déposé. Le pouvoir est passé entre les mains du Comité militaire révolutionnaire, organe du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, qui se trouve à la tête du prolétariat et de la garnison de la capitale.

La cause pour laquelle le peuple a lutté – offre immédiate d’une paix démocratique, abolition de la grande propriété foncière, contrôle ouvrier de la production, création d’un gouvernement des soviets – cette cause a triomphé.

Vive la révolution des ouvriers, des soldats et des paysans ! »

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