Indépendance de l’Inde : une partition sanglante imposée par la Grande-Bretagne16/08/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/08/2559.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a soixante-dix ans

Indépendance de l’Inde : une partition sanglante imposée par la Grande-Bretagne

Cet article est traduit de la revue Worker’s Fight, publiée par nos camarades de Grande-Bretagne (UCI).

Le 15 août 1947, l’Inde « britannique » acquit son indépendance. Mais, craignant qu’un sentiment de victoire ne permette au futur régime indien de résister à sa domination économique, tout en encourageant la rébellion grandissante des autres peuples colonisés contre leurs colonisateurs, le gouvernement britannique voulut s’assurer que l’indépendance aurait un coût exorbitant pour les masses indiennes. Il joua donc un jeu criminel, consistant à diviser pour régner, menant au bout du compte à la partition du sous-continent entre l’Inde et le Pakistan ; causant une des plus grandes et des plus sanglantes migrations de réfugiés des temps modernes ; léguant aussi un héritage toxique de guerres et d’extrémisme religieux.

La base de cette division artificielle était la politique coloniale du diviser pour régner, la création d’un système électoral basé sur la religion favorisant la loyale Ligue musulmane contre le parti nationaliste le plus important, le Congrès national indien qui, tout en professant un nationalisme à l’échelle de toute l’Inde, avait aussi des liens avec les groupes nationalistes hindous.

La mobilisation des masses pauvres d’Asie contre les pouvoirs coloniaux prit son essor à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En Chine, la paysannerie se souleva contre les propriétaires terriens et menaçait d’entraîner aussi le prolétariat urbain. En Malaisie, Indonésie et Indochine, après l’effondrement de l’occupation japonaise, le prolétariat s’insurgea contre le retour des vieilles puissances coloniales. En Inde, 20 000 marins de la marine royale indienne se mutinèrent en février 1946, déclenchant une vague de grèves de centaines de milliers de travailleurs.

Ruiné par la guerre, l’impérialisme britannique ne pouvait plus se maintenir en Inde. Mais, devant partir, il ne voulait le faire qu’à ses propres conditions, pour conserver son influence politique et préserver les intérêts économiques des grandes entreprises britanniques. Pour cela, il fallait d’abord que les masses soient brisées. À cette fin, les autorités coloniales utilisèrent le Congrès national indien et la Ligue musulmane. Les deux partis représentaient les classes de propriétaires. Les deux avaient prouvé, en participant aux pouvoirs locaux, leur volonté et leur habileté à faire taire les masses. Aucun ne voulait devoir aux masses mobilisées son accession au pouvoir.

Nehru, bientôt Premier ministre, allait dire plus tard de son parti du Congrès national indien qu’il était « sur les bords du volcan », un volcan prolétarien qui pouvait pulvériser tout à la fois le pouvoir colonial et la faible bourgeoisie indienne. Si les travailleurs avaient eu une véritable direction politique révolutionnaire, ils auraient pu se battre pour le pouvoir au nom de la classe ouvrière et des paysans pauvres. Mais, en l’absence d’une telle politique, bien que la classe ouvrière prouvât sa volonté de se battre malgré les balles britanniques, elle ne put pas faire valoir ses propres intérêts.

L’unité de classe noyée dans la violence religieuse

En mai 1946, la mobilisation populaire marqua le pas. Mais personne ne savait quand elle repartirait de l’avant. Les dirigeants britanniques s’empressèrent de se dégager de cette situation explosive et de la laisser aux mains des élites indiennes. Ils proposèrent un plan de partage du pouvoir, au sein d’une fédération indienne organisée en provinces soit majoritairement hindoues, soit majoritairement musulmanes, où chaque acteur – le Congrès national indien, la Ligue musulmane et les États princiers (dirigés par les rajas) – contre-balancerait l’influence des autres.

Le parti du Congrès s’y opposa. Dans leur lutte pour le pouvoir, les deux principaux partis attisèrent les flammes de la violence religieuse. En août 1946, des émeutes communautaires furent organisées, dont les plus meurtrières eurent lieu à Calcutta. Ainsi, l’unité de la classe ouvrière qui s’était construite de janvier à mai fut noyée dans le sang des combats religieux fratricides. Le prolétariat payait dans sa chair l’absence d’un parti de classe pouvant agir au nom de tous les travailleurs contre tous les exploiteurs, coloniaux et indigènes.

Un héritage tragique

N’obtenant pas l’accord du parti du Congrès pour un partage du pouvoir au sein d’un État fédéral, la Ligue musulmane exigea la création, sur une base religieuse, d’un État séparé : le Pakistan. Le pouvoir colonial britannique n’y voyait que des avantages : un sous-continent divisé serait plus facile à contrôler après l’indépendance qu’un État asiatique géant.

En juillet 1947, le gouvernement britannique annonça qu’il partirait un mois plus tard, traçant à la va-vite une frontière artificielle entre l’Inde et un Pakistan non viable formé de deux territoires éloignés de 1 600 kilomètres. Très vite, des émeutes religieuses commencèrent, à l’instigation de gangs sectaires des deux côtés. Il y eut d’horribles tueries, des pillages, des incendies et des viols. Ceux qui habitaient du mauvais côté de la frontière furent forcés de quitter leur domicile. Laissant tout derrière eux, dix à douze millions de réfugiés partirent sur les routes à pied pour franchir la nouvelle frontière. Au moins un million furent tués et 75 000 femmes violées.

Avec cynisme, l’impérialisme britannique put ainsi atteindre ses objectifs : remettre le pouvoir aux classes riches indiennes et pakistanaises et à leurs gangs religieux ; désamorcer le baril de poudre prolétarien ; et montrer aux autres colonies le prix terrible à payer pour l’indépendance. En même temps il gardait les deux nouveaux États sous influence, maintenant ses hauts fonctionnaires et ses généraux à la tête des nouveaux appareils d’État jusqu’en 1950.

L’héritage de cette partition pèse depuis des décennies sur les populations des deux pays, au travers de guerres récurrentes (actuellement au Cachemire), de l’éclatement violent du Pakistan en 1971 donnant naissance au Bangladesh, et du recours perpétuel à la démagogie et aux émeutes religieuses de la part des partis nationalistes.

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