Août 1917 : la classe ouvrière relève la tête16/08/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/08/2559.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

Août 1917 : la classe ouvrière relève la tête

En août 1917, les classes dirigeantes et les principaux chefs militaires, dont le commandant en chef, Kornilov, ne cachent plus leur volonté d’écraser définitivement la révolution. À la tête du gouvernement, Kerenski partage leurs aspirations. Ayant lancé les armées russes dans une nouvelle offensive, rétabli la peine de mort au front et assuré l’impérialisme français et britannique de sa fidélité aux buts de guerre de la Russie tsariste, il tente de se maintenir au pouvoir en prétendant maintenir un équilibre entre les aspirations révolutionnaires des masses ouvrières et des soldats et les objectifs contre-révolutionnaires des généraux sur lesquels il s’appuie. La classe ouvrière, qui ne veut plus entendre parler de guerre et de vaines promesses, a repris espoir. Elle se tourne massivement vers les bolcheviks et continue d’apprendre en agissant. Dans Les dix jours qui ébranlèrent le monde, le socialiste et journaliste américain John Reed, qui découvre alors la Russie, rend compte de cette effervescence.

« Sur le front, les soldats luttaient contre les officiers et apprenaient à se gouverner eux-mêmes, au moyen de leurs comités. Dans les usines, les comités d’usines, ces organisations russes uniques, gagnaient de l’expérience et de la force et réalisaient leur mission historique en luttant avec l’ancien ordre des choses. Toute la Russie apprenait à lire, et elle lisait — l’économie politique, l’histoire — parce que le peuple désirait savoir. Dans toutes les villes, grandes et petites, sur le front, chaque fraction politique avait son journal, quelquefois elle en avait même plusieurs. Des pamphlets, par centaines de mille, étaient distribués par des milliers d’organisations et répandus dans les armées, dans les villages, les usines, les rues. La soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire.

Du seul Institut Smolny [le quartier général du Parti bolchevik], pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché, mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki...

Ensuite vinrent les discours (…). Les conférences, les débats, les discours aux théâtres, aux cirques, dans les écoles, dans les clubs, dans les lieux de réunion des soviets, dans les sièges des syndicats, dans les casernes... Les meetings dans les tranchées, sur les places publiques des villages, dans les usines... Quel spectacle magnifique de voir l’usine Poutilov verser ses quarante mille ouvriers pour entendre les socialistes démocrates, les socialistes-révolutionnaires, les anarchistes ou qui que ce soit, pourvu qu’ils aient quelque chose à dire. Pendant des mois entiers, à Petrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue était devenu une tribune publique. Dans les trains, dans les tramways, partout éclataient des débats improvisés...

Les conférences et les congrès panrusses rassemblaient les hommes de deux continents : les réunions des soviets, des coopératives, des zemstvos, des nationalités, des prêtres, des paysans, des partis politiques ; la Conférence démocratique, la conférence de Moscou, le Conseil de la République russe. Trois ou quatre congrès avaient toujours lieu en même temps à Petrograd. On essayait en vain de limiter le temps accordé aux orateurs, chacun restait libre d’exprimer sa pensée.

Nous avons visité le front de la 12e armée, à l’arrière de Riga, où les hommes, affamés, malades, sans chaussures, languissaient dans la boue horrible des tranchées ; lorsqu’ils nous virent, ils se dressèrent avec leurs maigres figures, leur chair, bleuie par le froid, qu’on apercevait à travers leurs vêtements déchirés, nous demandant avidement : “Nous avez-vous apporté quelque chose à lire ?”»

La contre-révolution allait se briser sur cette force fantastique et cette conscience grandissante dans les semaines suivantes, avant d’être balayée par la classe ouvrière en octobre.

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