1917 : la révolution russe au fil des semaines

Un nouveau gouvernement de coalition contre la révolution

La crise de juillet 1917 avait coïncidé avec le départ des ministres Cadets du Gouvernement provisoire russe. Mais socialistes-révolutionnaires et mencheviks, effrayés par les manifestations à Petrograd, compromis jusqu’au bout dans la collaboration avec la bourgeoisie, n’eurent de cesse de rétablir une nouvelle coalition.

L’ancien chef du gouvernement, le prince Lvov, ayant démissionné le 13 juillet avec fracas, se félicitait : « Notre “percée en profondeur” sur le front de Lénine a, à mon avis, une importance incomparablement plus grande pour la Russie que la percée des Allemands sur notre front Sud-Ouest. » Lénine commenta : « Deux ennemis, deux camps adverses, dont l’un a rompu le front de l’autre : voilà à quoi le prince Lvov réduit la situation intérieure de la Russie. Remercions-le sincèrement de sa franchise ! Car il est mille fois plus dans le vrai que les petits bourgeois sentimentaux et mencheviques persuadés que la lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui s’exacerbe inévitablement à l’extrême pendant la révolution, peut disparaître grâce à leurs malédictions et à leurs incantations ! »

Un nouveau gouvernement de coalition fut formé le 24 juillet, avec le socialiste Kerenski à sa tête. Les Cadets y donnaient le ton. Il entendait poursuivre et approfondir la politique pro-bourgeoise menée depuis février. Pourtant les illusions créées par la coalition des « conciliateurs » avec la bourgeoisie agissaient de moins en moins.

L’offensive russe au front tournait au désastre, selon les mots du général Dénikine : « La lâcheté et l’indiscipline dans certains endroits en arrivèrent au point que les hommes chargés du commandement furent obligés de demander à notre propre artillerie de ne pas tirer, les tirs provoquant la panique parmi les soldats. Des déclarations alarmantes de commandants d’unités combattantes me parvinrent, concernant des désertions massives et spontanées de foules d’hommes et de compagnies entières, quittant la première ligne. (…) Jamais encore je n’avais eu l’occasion de combattre avec autant d’infanterie et de moyens matériels. Jamais encore la situation ne s’était présentée avec des perspectives aussi brillantes. Sur un front de 19 verstes [environ 20 km] j’avais 184 bataillons contre 29 à l’ennemi ; 900 pièces d’artillerie contre 300 allemandes ; 138 de mes bataillons furent engagés dans le combat contre les 17 bataillons de première ligne allemands… Et tout s’écroula. »

Lénine prévoyait que la guerre et toute la politique du gouvernement mèneraient rapidement à son discrédit : « De nouveau la famine menace. Tous voient que les capitalistes et les riches trompent sans vergogne le Trésor sur les fournitures de guerre (…) ; qu’ils réalisent, grâce à la hausse des prix, des bénéfices exorbitants, tandis que rien, absolument rien, n’a été fait pour organiser un recensement sérieux de la production et de la répartition des produits par les ouvriers. Les capitalistes, de plus en plus arrogants, jettent les ouvriers sur le pavé, cela à un moment où le peuple souffre de la disette de marchandises. (…)

Le gouvernement, qui se prétend révolutionnaire et démocratique, continue depuis des mois à berner les paysans, à les tromper par des promesses et des atermoiements. (…) Dans son zèle à défendre les grands propriétaires fonciers, le gouvernement en est arrivé à une telle impudence qu’il commence à faire poursuivre en justice les paysans qui se sont emparés “arbitrairement” des terres. (…)

Que le parti [bolchevik] dise hautement et clairement au peuple (…) que le “nouveau” gouvernement Kérenski, Avksentiev [SR ministre de l’Intérieur] et Cie n’est qu’un paravent derrière lequel se dissimulent les Cadets contre-révolutionnaires et la clique militaire, véritables détenteurs du pouvoir ; que le peuple n’aura pas la paix, que les paysans n’auront pas la terre, que les ouvriers n’auront pas la journée de 8 heures, que les affamés n’auront pas de pain sans liquidation complète de la contre-révolution. Que le parti le dise, et le développement des événements montrera, à chacune de ses phases, que le parti a raison. »

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