Grande-Bretagne : la vie des pauvres ne vaut pas cher21/06/20172017Journal/medias/journalarticle/images/2017/06/Grenfell_Tower_fire_wider_view_0.jpg.420x236_q85_box-0%2C75%2C800%2C525_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : la vie des pauvres ne vaut pas cher

79 morts : tel est le bilan encore provisoire de l’incendie qui a ravagé la tour Grenfell, le 14 juin, un HLM de 120 appartements sur 24 étages, situé dans la municipalité londonienne de Kensington.

Illustration - la vie des pauvres  ne vaut pas cher

Depuis, au fur et à mesure qu’apparaissent les causes du sinistre, la consternation a fait place à l’indignation, puis à la colère, contre les politiques des gouvernements passés et présents, faisant de ce drame un scandale politique majeur.

Quatre décennies d’incurie criminelle

La tour Grenfell a été construite dans les années 1960-70, dans le cadre d’un vaste programme visant à éliminer les taudis des centres-villes. Bien que construite à l’économie, elle obéissait encore à certaines normes en matière d’incendie : un système de portes et de sas coupe-feu isolait les appartements et les étages les uns des autres, de façon à ce que le foyer d’un incendie reste circonscrit assez longtemps pour permettre aux pompiers d’intervenir. Et en gros cela fonctionnait, tant que le feu démarrait dans la tour.

Avec les années Thatcher, les normes furent revues à la baisse et les sas pare-feu disparurent, pour augmenter le nombre de logements par étage. Puis les services municipaux gestionnaires des HLM et leur maintenance furent privatisés. Les anciennes portes pare-feu cessèrent de fonctionner, les escaliers de secours furent supprimés, ou disparurent sous les amas d’ordures que les services de voirie privatisés ne collectaient plus qu’une fois par semaine. Et comme, pour inspecter la sécurité, il n’y avait plus que des officines privées qui ne voulaient pas faire de vagues pour conserver leurs contrats, il n’y eut plus que les comités de locataires pour tirer la sonnette d’alarme à propos de la sécurité.

Au début des années 2000, on découvrit une nouvelle façon de ravaler la façade des tours HLM : on les emballa dans une couche interne d’isolant thermique qu’on recouvrit d’une couche externe esthétique, incrustée de poussière d’aluminium pour répartir la chaleur sur toute la surface. Cela permettait de relooker la tour et d’améliorer son isolation thermique, et tout cela pour pas cher.

Mais, en 2009, les 14 étages d’une tour HLM de Londres, Lakanal House, furent ravagés par les flammes, lorsque cet emballage s’enflamma en quelques minutes. Il y eut neuf morts.

Rendant ses conclusions quatre ans plus tard, la commission d’enquête recommanda que les doubles revêtements utilisés pour ravaler quelque 4 000 tours HLM dans le pays soient ignifugés. Mais rien ne fut fait. Pire, dans leur enthousiasme à « faire un feu de joie des réglementations inutiles », comme ils disaient, les gouvernements Cameron et May rendirent facultative l’installation, jusque-là théoriquement obligatoire, d’extincteurs automatiques à eau pour ralentir la progression des flammes !

Ce qui devait arriver arriva. Le drame de la tour Grenfell aurait pu se produire dans des centaines d’autres tours, tout comme il s’était produit à Lakanal House, et pour les mêmes raisons.

Mépris pour les pauvres

Mais à cette incurie criminelle, à cette complaisance cynique à l’égard du parasitisme de la bourgeoisie, s’ajoute une dimension sociale particulièrement révoltante : le mépris affiché des autorités envers les pauvres.

Car la tour Grenfell dépend d’une des municipalités les plus riches d’Europe, celle de Kensington. On y trouve la rue la plus chère de Londres, la star du football David Beckham, le gratin de la bourgeoisie et de l’aristocratie britannique, sans compter les pied-à-terre des familles royales du Golfe. C’est dire si l’îlot de la tour Grenfell, parmi les plus pauvres du pays, y fait tache.

D’ailleurs, ce fut avant tout pour offrir une vue plus agréable à ses riches voisins que la tour Grenfell fut ravalée en 2014. Mais cela n’a pas empêché la municipalité de laisser son sous-traitant choisir des revêtements à bas prix et parmi les plus dangereux, dont l’un n’était pas ignifugé et l’autre, fabriqué par une filiale de Saint-Gobain, était connu pour brûler en dégageant du cyanure d’hydrogène, un gaz mortel. La seule chose qui comptait n’était-elle pas de minimiser le coût de ce ravalement : moins de 10 millions d’euros, soit à peine plus que le prix d’un F5 dans les immeubles luxueux de Kensington ! Après tout, ce n’était que quelques centaines de pauvres anonymes.

Mais, même après le drame, on a continué à voir s’étaler le même mépris. D’abord, celui de Theresa May, gardant le silence pendant trois jours. Mais aussi celui de la municipalité : bien qu’ayant l’obligation légale de reloger les sinistrés, elle a proposé à certains des abris à l’autre bout de Londres, voire dans des villes de province, comme Manchester ou Birmingham. Et cela alors que Kensington a la plus forte densité de logements vides de la capitale et que sa municipalité a un droit de réquisition en pareil cas.

Quant au gouvernement, il a fini par promettre une aide de 6 000 euros par foyer, mais seulement pour ceux dont l’appartement a été complètement détruit, et à condition qu’ils aient un compte en banque. Or nombre de travailleurs pauvres n’en ont pas, en particulier parmi les immigrés à qui les banques refusent d’en ouvrir un, sans parler des retraités ou des interdits bancaires. Autant dire qu’en fait d’aide, les plus pauvres n’auront rien.

Alors la colère gronde. May en a d’ailleurs fait les frais : quand elle a fini par se rendre sur les lieux, les sinistrés se sont chargés de l’en chasser. Ce sont aussi les mêmes sinistrés et d’autres locataires HLM de Kensington qui ont saccagé une partie de l’hôtel de ville avant de marcher sur Downing Street, la résidence de May.

Oui, les pauvres ont toutes les raisons de se révolter contre ce système capitaliste pourrissant et assassin.

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