Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

Une grève à Moscou

D’avril à juillet 1917, des grèves éclatent dans toutes les usines de Russie, que ce soit pour imposer des augmentations de salaire ou la journée de huit heures, ou pour répondre au sabotage organisé par les industriels. Dans ces grèves « s’accomplissaient de profonds processus révolutionnaires qui soudaient en un tout politique les éléments hétérogènes de la classe ouvrière », résumait Trotsky. Les récits suivants sont extraits de Lutte de classe dans une usine métallurgique à Moscou, de Kevin Murphy.

« Le 23 avril, une assemblée générale de l’usine Gurzon vota à l’unanimité que les travailleurs qualifiés devraient refuser les taux horaires excessifs et demandèrent que ces fonds soient attribués aux employés non qualifiés. (…) Les mouvements sur les salaires conduisirent également à des conflits au sujet de l’embauche et des licenciements, et cela illustra combien de questions semblables s’entremêlaient à mesure que le mouvement des travailleurs prenait de l’importance et de l’assurance.

Le comité d’usine résolut que pas un seul employé ne pouvait être licencié sans son accord. Les travailleurs décidèrent ensuite qu’ils avaient également le droit de nommer et démettre le personnel de direction. Le 23 mai, la direction se plaignit que les ouvriers du secteur moulage avaient annoncé à leur chef, M. Mattis, qu’ils ne voulaient plus de lui comme de leur chef et l’avaient révoqué immédiatement de son poste. Le lendemain, l’atelier des boulons renvoya son responsable. D’après un ouvrier, ce chef s’en prenait particulièrement aux femmes de l’atelier, congédiant celles qui étaient enceintes ou forçant celles de la production à nettoyer par terre. (...)

Ni les concessions des patrons ni leur intransigeance ne semblaient capables de freiner la marée de l’activité militante des travailleurs. Comme les travailleurs avaient gagné un sens aigu de leur pouvoir collectif, les deux attitudes semblaient ne mettre que de l’huile sur le feu des conflits. (…) Le 19 juin, le comité d’usine soumit des demandes sur d’autres questions :

1- Créer un espace permanent pour le comité ouvrier et pour les assemblées générales de l’usine, les conférences et autres activités d’éducation culturelles.

2- Accepter sept heures pour l’équipe de nuit, avec une paye de huit heures.

3- Payer régulièrement les salaires sous la forme suivante : pas plus tard que le 20 du mois donner une avance pour le mois, et pas plus tard que le 8 du mois suivant pour le décompte des primes de coût de la vie.

4- Installer des systèmes de ventilation pour tous les endroits fermés où il y a de la production.

5- Des douches et saunas pour les deux sexes.

6- Une température suffisante dans tous les ateliers pendant l’hiver ; des lavabos.

7- Dans tous les ateliers, il devrait y avoir une cantine ou une pièce fermée et confortable.

8- Faire des toilettes assez près des ateliers.

9- Dans tous les ateliers, faire des placards pour les vêtements des travailleurs.

10- Dans l’atelier de laminage et la zone de construction, amener l’eau chaude car elle est actuellement trop éloignée et inaccessible à cause de la nature du travail.

11- Le salaire pour arrêt maladie, en relation ou non avec le travail, doit être payé entièrement à partir du premier jour de maladie et basé sur le salaire moyen ouvrier.

12- Les femmes qui accouchent doivent être libérées deux semaines avant et pendant quatre semaines après la naissance, mais elles doivent être payées totalement sur la base du salaire moyen.

13- Les médicaments prescrits par des médecins privés devraient être distribués par le dispensaire local et, si le dispensaire n’en a pas, l’usine devrait s’en procurer auprès d’un autre pharmacien.

14- En période d’arrêt de travail à cause de manque de matériel, le salaire doit être de la moitié du salaire minimum.

15- Après la naissance d’un enfant, verser vingt-cinq roubles ; après la mort d’un enfant, donner vingt-cinq roubles ; pour la mort d’adultes, donner soixante-quinze roubles.

16- Tout travailleur qui a été à l’usine au moins un an doit se voir accorder deux semaines de vacances ; tout travailleur qui a deux ans ou plus d’ancienneté a droit à un mois de vacances avec la paye minimum.

La variété, la clarté et la force des revendications démontrent l’organisation et la confiance grandissante des travailleurs. Le besoin d’un lieu régulier pour les réunions montre que la priorité première des travailleurs était le renforcement de leur propre organisation, et les revendications dans l’intérêt particulier des femmes démontrent la volonté des travailleurs d’inclure tous les problèmes. »

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