Dans le monde

Il y a 80 ans : Gramsci, révolutionnaire communiste

Cet article est traduit du journal de nos camarades italiens de L’Internazionale (UCI), à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Gramsci, l’un des fondateurs du Parti communiste d’Italie.

Combien de fois Antonio Gramsci a-t-il été tué ? Une fois le 27 avril 1937, à la suite des dix années de prison auxquelles l’avait condamné le régime fasciste et une seconde fois par les staliniens, au premier rang desquels Togliatti, qui ont longtemps dissimulé ou amputé sa correspondance et les Cahiers de prison, pour en faire une sorte de père spirituel de la « voie italienne vers le socialisme ».

Gramsci tué une deuxième fois

On présente aujourd’hui Gramsci comme une espèce d’hérétique du marxisme, un penseur trouvant en réalité sa place légitime dans l’histoire de la pensée libérale démocratique, dont on se plaît à citer – de tous les bords politiques – des phrases sorties de leur contexte ou dont on célèbre les « intuitions ». Et voilà qu’on le tue une nouvelle fois !

L’année de sa mort dans un hôpital de Rome, 1937, est l’une des années les plus sombres pour le mouvement ouvrier international. C’est l’année durant laquelle la répression en Union soviétique fait le plus grand nombre de morts, s’acharnant en premier lieu sur la vieille garde bolchevique. C’est l’année de Nikolaï Ejov, le célèbre chef de la police stalinienne. C’est l’année où s’éteint la brève lueur d’espoir apportée par la révolution espagnole au prolétariat européen qui, en Italie et en Allemagne, est écrasé sous le talon de fer des dictatures fascistes. Et c’est justement depuis l’Espagne révolutionnaire, à Radio Barcelone, qu’un militant anarchiste italien rappellera l’œuvre de Gramsci. Ce même militant, Camillo Berneri, sera assassiné par les tueurs staliniens quelques jours plus tard, au cours des journées de mai.

Mais si la mort de Gramsci coïncide avec l’approfondissement d’une crise tragique pour toute l’humanité, sa vie de penseur et de militant socialiste s’est déroulée parallèlement à la reprise du mouvement révolutionnaire international.

L’influence des idées socialistes sur le jeune Gramsci commence avec ses premières lectures et grâce à l’exemple de son frère aîné, Gennaro, qui fut secrétaire de la section du Parti socialiste de Cagliari en Sardaigne et administrateur de la Bourse du travail locale. Ayant obtenu une bourse d’études, Gramsci s’inscrit à l’université de Turin, à la faculté de lettres. C’est dans l’atmosphère de cette ville industrielle que mûrissent ses convictions politiques. Il adhère au Parti socialiste en 1913, mais il est alors encore très fortement influencé par le philosophe idéaliste Benedetto Croce.

Avec les ouvriers turinois

Les nouvelles des événements révolutionnaires en Russie et les émeutes de Turin en août 1917 le rapprochent de l’aile la plus radicale du mouvement socialiste. En 1919, il fonde le journal L’Ordine Nuovo (l’Ordre nouveau), qui paraîtra d’abord comme un supplément turinois du quotidien socialiste Avanti ! (En avant !). Le journal regroupera bientôt les socialistes turinois, ouvriers et intellectuels, qui formeront par la suite l’une des composantes du Parti communiste. Gramsci figure parmi les dirigeants socialistes qui suivent, encouragent et organisent la lutte des travailleurs turinois durant le Biennio rosso (les deux années rouges) de 1919-1920.

Le débat, et même la polémique, qui se développe alors sur la question des conseils d’usine, dans lesquels Gramsci voyait l’embryon de soviets italiens, ne peut être traité en quelques lignes. Soulignons toutefois ici qu’il s’agit d’une discussion interne du mouvement communiste italien naissant. Gramsci défendait ses positions, justes ou erronées, en tant que communiste, militant de la révolution prolétarienne, qui cherchait à percevoir dans les luttes et les formes d’organisation que la classe ouvrière se donnait, la voie vers le renversement du capitalisme.

Malgré cette évidence historique, sans rien y comprendre et peut-être même sans l’avoir jamais vraiment lu, les plus éloignés des politiciens du monde bourgeois se sont emparés ces dernières années de Gramsci, de Sarkozy en France aux politiciens de droite Gianfranco Fini ou Sandro Bondi en Italie. Mais c’est surtout dans le milieu des professeurs, des philosophes professionnels, que l’on trouve aujourd’hui les interprètes les plus improbables de la pensée de Gramsci. Ceux-là, mis devant la profondeur des écrits de Gramsci, ne pouvaient supporter l’idée que cette profondeur puisse provenir de son adhésion au marxisme, qu’ils réduisaient pour leur part depuis longtemps à une série de dogmes rigides. Ils se sont donc fabriqué un Gramsci de salon, philologue cultivé et humaniste libéral raffiné. Le sujet idéal de nombreux séminaires, débats académiques et autres tables rondes.

Quant à nous, le Gramsci qui nous intéresse est celui qui écrit, quelques mois après le congrès de janvier 1921 à Livourne : « Avec la création du Parti communiste, la classe ouvrière rompt avec toutes les traditions et affirme sa maturité politique. La classe ouvrière ne veut plus collaborer avec les autres classes pour le développement et la transformation de l’État parlementaire bureaucratique : elle veut travailler de manière positive, pour son propre développement autonome ; elle pose sa candidature à la direction de la société et affirme ne pouvoir accomplir cette fonction historique que dans le cadre d’institutions différentes des institutions actuelles, dans le cadre d’un nouvel appareil d’État, et non au sein de l’État parlementaire bureaucratique. »

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