Grèce, avril 1967 : le coup d’État des colonels26/04/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/04/2543.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

Grèce, avril 1967 : le coup d’État des colonels

Dans la nuit du 20 au 21 avril 1967, anticipant sur des élections qui auraient donné la majorité à l’opposition, l’armée grecque prenait le pouvoir. Les tanks se positionnaient devant les centres névralgiques de la capitale, Athènes : ministères, centres de télécommunications, Parlement, sièges des radios et des grands journaux. Les dirigeants des organisations de gauche mais aussi des partis bourgeois étaient arrêtés.

Les colonels prétendirent avoir pris les devants pour repousser un complot communiste et réaliser « la Grèce des Grecs chrétiens, (…) un bastion inexpugnable dans le cadre de l’OTAN et un gardien de la civilisation dans ce coin de l’Europe ».

Les États-Unis protestèrent pour la forme mais reconnurent vite le nouveau pouvoir. La situation dans cette région de la Méditerranée orientale les y poussait. Toujours tendue, elle allait devenir explosive, une fois de plus, avec le déclenchement de la guerre, le 6 juin 1967, entre Israël et les pays arabes, l’Égypte, la Syrie et la Jordanie. Le gouvernement américain était aussi englué à l’autre bout du monde dans la guerre du Vietnam et il ne souhaitait pas trouver en Grèce un nouveau foyer d’instabilité.

Il pouvait en revanche faire confiance à l’armée grecque et à la multitude de services spéciaux qui constituaient l’État parallèle. L’armée grecque, c’était celle de la guerre civile de 1946-49, viscéralement anticommuniste, qui avait reçu l’aide massive et décisive de l’impérialisme américain pour écraser la résistance organisée par les militants du KKE, le Parti communiste grec. Elle comptait aussi des organisations plus ou moins secrètes comme l’IDEA (le Lien sacré des officiers), dont étaient membres la plupart des putschistes de 1967, entre autres le chef de la junte, Papadopoulos. Tous ces services spéciaux, comme également le KYP (le Service central des renseignements de l’armée), avaient des liens avec la CIA.

Les hommes et les moyens d’un coup d’État militaire étaient donc prêts, dans la coulisse. Encore fallait-il une occasion, une situation suffisamment instable pour qu’il apparaisse comme une solution aux problèmes de la bourgeoisie grecque et à l’impérialisme.

Sans avoir formellement reçu le feu vert du gouvernement américain, ni même celui du roi qui préparait de son côté un coup d’État appuyé sur ses généraux, les colonels passèrent à l’action, appliquant le plan Prométhée, un plan antisubversion élaboré bien auparavant par l’OTAN et complété par eux.

Une situation instable

Dans la monarchie parlementaire grecque, installée de nouveau dans le pays par les troupes anglaises en 1944 et appuyée, depuis, sur une armée et une Église particulièrement réactionnaires, répression, corruption et clientélisme assuraient la majorité à des gouvernements ultraconservateurs.

Dans les années 1960, le Parti communiste était toujours interdit, les opposants se retrouvaient en prison, déportés aux îles ou en exil. Cependant la Gauche démocratique unifiée (EDA), liée à ce parti interdit, avait une existence légale. L’Union du centre (EK) dirigée par Papandréou était minoritaire, le découpage électoral et les trucages garantissant la majorité à l’Union nationale radicale de Caramanlis ( ERE).

Les années de gouvernement Caramanlis (1955-1963) furent d’abord des années de relatif développement économique, enrichissant les bourgeois grecs et les investisseurs étrangers. Mais le sort de la population changeait peu. La Grèce restait un pays sous-développé, avec une forte émigration, malgré un accroissement de la classe ouvrière dans quelques centres, dont Athènes. Pour obtenir un emploi dans les services publics ou semi-publics, pour obtenir une patente ou entrer à l’université, il fallait un certificat de civisme, une déclaration de loyauté attestant de pensées « nationales » et la police entretenait un réseau de mouchards pour mettre à jour ses milliers de dossiers.

Toutes les revendications se heurtaient à un régime répressif, où les agents de l’État parallèle, les groupes paramilitaires, secondaient la gendarmerie et la police officielles. Au début de l’année 1963, le pays fut secoué par une vague de grèves et de manifestations impitoyablement réprimées ; en mai 1963, le député de l’EDA Grigoris Lambrakis fut assassiné par l’extrême droite avec la complicité du commandant en chef de la gendarmerie, assassinat que retrace le film “Z”.

Papandréou, à la tête de l’EK, devint Premier ministre à la place de Caramanlis, promettant un certain nombre de réformes, dans l’éducation en particulier, libérant des prisonniers politiques, accordant des subventions aux agriculteurs, et laissant tomber en désuétude l’obligation du certificat de civisme. Il continua la politique économique de son prédécesseur, qui, fondamentalement, convenait à la bourgeoisie. Mais, s’il n’en fit pas assez pour transformer le sort des travailleurs, il en fit assez pour ulcérer ses ennemis politiques et se faire renvoyer, à la suite de manœuvres parlementaires. Ses dénonciations d’un État parallèle, contre lequel il ne faisait rien, le désignèrent aux yeux de la droite et de l’extrême droite comme un homme à abattre, alors qu’il n’était qu’un politicien réformiste et anticommuniste.

En juillet 1965, son limogeage accrut l’agitation dans la classe ouvrière mais aussi parmi les étudiants, et les manifestations regroupèrent des dizaines de milliers de manifestants. Le 21 juillet, la répression fit 300 blessés et un mort. Les funérailles de l’étudiant Sotiris Petroulas firent descendre 300 000 manifestants dans les rues d’Athènes et l’agitation se poursuivit pendant des mois.

Papandréou devint, de fait, le représentant de l’opposition dont on prévoyait la large victoire pour le printemps 1967.

Les travailleurs trahis et écrasés

Bien que Papandréou, artisan du retour du roi à la fin de la guerre grâce aux troupes anglaises, ait eu un long passé anticommuniste, son succès électoral en 1964 avait été facilité par l’EDA, qui avait retiré certains de ses candidats devant ceux de l’EK. C’est aussi l’EDA, c’est-à-dire en fait le Parti communiste, qui avait mis ses militants, son organisation des Jeunesses lambrakistes, et tous les travailleurs à la remorque de ce politicien. Fidèle à la politique stalinienne d’union nationale du KKE, catastrophique pendant la guerre et la Résistance, l’EDA prônait une politique de changement démocratique, de collaboration avec la « bourgeoisie nationale progressiste ». Sa direction dénonçait l’aventurisme des grévistes les plus radicaux, sans jamais mettre en garde les travailleurs contre la possibilité réelle d’un putsch ni les préparer à l’affrontement. En avril 1967, son journal expliquait encore pourquoi il ne pouvait pas y avoir de coup d’État.

Mais, pendant que la gauche préparait les élections, l’armée et la droite préparaient l’écrasement de la population. 8 000 à 10 000 militants retrouvèrent la prison, la torture, la déportation aux îles ou l’exil. Par la suite, bien d’autres opposants furent victimes de la répression. Les colonels allaient faire peser une chape de plomb sur la classe ouvrière grecque et sur toute la population. La dictature allait durer sept ans.

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