États-Unis 1936-1937 : la victoire retentissante des travailleurs de Flint18/01/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/01/2529.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

États-Unis 1936-1937 : la victoire retentissante des travailleurs de Flint

Le 30 décembre 1936, une grève avec occupation démarrait à l’usine Fisher n°1 de General Motors (GM) à Flint dans le Michigan. Après 44 jours d’une lutte acharnée contre le patron le plus puissant du monde, des dizaines de milliers d’ouvriers de l’automobile le faisaient plier et obtenaient de pouvoir se syndiquer au grand jour.

La crise commencée en 1929 avait été terrible pour les travailleurs américains. En 1932, le chômage touchait 13 millions de travailleurs, 13 autres millions ne travaillaient plus qu’à temps partiel. La faim réapparaissait dans le pays le plus riche du monde. Mais pour les actionnaires, les profits étaient vite revenus arrondir les fortunes, malgré la crise.

La dictature patronale

À Flint, où 80 % de la population dépendait de GM, une commission officielle notait : « Aucune famille ne peut vivre décemment avec de telles paies. Dans les quartiers des ouvriers, les foyers sont des taudis, avec sol en terre battue, murs nus et sans toilettes. L’hygiène y est déplorable et les enfants sous-alimentés. »

Dans les ateliers où ils tenaient des cadences à la limite de leurs forces, les ouvriers subissaient la brutalité de l’encadrement, secondé par des mouchards rétribués par GM pour dénoncer tout ouvrier qui aurait commencé à contester. Les jeunes ouvrières devaient se méfier du harcèlement sexuel des contremaîtres, tout-puissants.

Suivant les à-coups de la production automobile, GM licenciait chaque année de nombreux ouvriers à la période creuse. En conséquence, la paie moyenne des 40 000 ouvriers de GM avait diminué de 40 % depuis 1929. Pendant les mois de chômage, les ouvriers allaient à la soupe populaire et pouvaient quémander un prêt auprès de GM, qui les tenait ainsi en quasi-servitude.

Les travailleurs relèvent la tête

La centrale syndicale AFL (American Federation of Labor) ne s’intéressait pas au sort de ces ouvriers sans qualification, et cela bien qu’à partir de 1934 le prolétariat américain montrât des signes évidents d’une combativité explosive. Les grèves se multipliaient au point qu’une partie de l’appareil se sépara de la vieille AFL, passée depuis longtemps dans le camp du patronat, pour constituer une nouvelle centrale : le CIO (Congress of Industrial Organisations). À sa tête se tenaient des bureaucrates qui constataient que les ouvriers se jetaient dans la lutte sans attendre l’AFL et qu’il fallait créer un nouveau syndicat sans quoi les travailleurs se seraient organisés de toute façon en dehors de tout contrôle d’un tel appareil.

Dans l’automobile, un nouveau syndicat adhérent du CIO, l’UAW, se créa en 1935. Il s’appuyait sur des militants du Parti communiste qui étaient prêts à affronter GM dans son fief de Flint, et à mettre leur énergie au service des dirigeants du CIO.

À l’été 1936, l’UAW ne comptait que 100 adhérents à Flint, dont un certain nombre de mouchards placés là par GM. Les militants ouvriers agissaient pourtant dans les usines avec précaution, laissant des tracts sur les carrosseries qui avançaient sur les chaînes. Ceux-ci pouvaient être lus par des centaines d’ouvriers avant que des chefs en rage ne les ramassent.

Lors d’une grève sur le tas contre le renvoi de deux ouvriers qui protestaient contre l’augmentation des cadences dans un atelier de carrosserie de l’usine Fisher n°1, GM céda au bout de quelques heures.

À partir de là l’organisation syndicale recruta ouvertement dans cette usine, puis dans d’autres. En novembre l’UAW comptait 1 500 adhérents dans les usines de GM à Flint, en décembre elle en comptait 4 500.

Grève avec occupation

Le 28 décembre la grève démarra sur une initiative locale à l’usine GM de Cleveland, à 350 km de Flint. Craignant la contagion, GM organisa le déménagement des outils de presse, mais cette manœuvre provoqua la grève. Le 30 décembre, les usines Fisher n°1 et n°2 furent occupées par leurs ouvriers.

L’occupation fut un atout considérable. Au bout de quelques jours les sbires de la direction furent expulsés des usines occupées. Les grévistes, organisés par groupes de quinze, découvraient la puissance de leur organisation.

Les ouvrières furent renvoyées chez elles, le syndicat leur demandant de s’occuper de la cuisine de grève, où 200 volontaires servirent des milliers de repas par jour. Mais les plus militantes revinrent aux portes des usines, forçant les hommes à accepter leur adhésion au syndicat et leur participation directe à la grève : en porte-à-porte, elles s’opposèrent à la propagande de GM et gagnèrent à la lutte nombre d’habitants de Flint. Certaines formèrent une brigade d’urgence, mobilisable jour et nuit pour faire échec aux coups fourrés du patron.

GM, rapidement obligé de fermer des usines par manque de pièces, obtint qu’un juge ordonne l’évacuation des usines occupées à Flint. Mais un scandale éclata à l’avantage des grévistes lorsque le syndicat révéla que ce juge possédait plus de 3 000 actions de l’entreprise.

Les grévistes affrontent la police...

Dans la soirée du 11 janvier, GM coupa le chauffage et l’approvisionnement en nourriture des grévistes de l’usine Fisher n°2 et envoya la police la reconquérir de force. Les grévistes répondirent aux gaz lacrymogènes, offerts par GM à la police de Flint juste avant la grève, en bombardant leurs agresseurs avec des pièces d’automobiles et en les arrosant avec des lances à incendie, armes redoutables en période de gel. Alertée par les reportages radio en direct, la population de Flint commença à arriver sur les lieux de l’affrontement et la police s’enfuit, blessant tout de même quatorze grévistes par balle. Les ouvriers restaient maîtres du champ de bataille.

Le lendemain, des travailleurs venus d’autres villes ouvrières et la foule populaire de Flint vinrent voir de leurs yeux le lieu de la défaite de GM. La peur changea de camp. Dans les usines encore en activité, les ouvriers prirent en masse leur carte syndicale auprès des militants, en ville on fit la queue devant le local de l’UAW pour adhérer.

Fin janvier, la production de GM avait chuté de 80 %, mais la compagnie ne s’avouait pas vaincue. Elle recruta une milice pour épauler la police locale. La justice ordonna à nouveau la fin de l’occupation. Le gouverneur du Michigan, un démocrate élu avec les voix des ouvriers et surtout le soutien des appareils syndicaux, mit la Garde nationale en alerte à Flint, et fit pression sur l’UAW pour que les usines occupées soient évacuées avant toute négociation. La ténacité des ouvriers de GM, vue comme un exemple par les travailleurs du pays, inquiéta jusqu’au président Roosevelt qui, à Washington, exerça une pression similaire sur les dirigeants du CIO.

… et font plier GM

En riposte, l’UAW prépara secrètement l’occupation de l’usine de moteurs Chevrolet n°4. Grâce à une ruse qui attira les cadres et les vigiles de GM vers une autre usine, elle fut occupée le 1er février. Immédiatement la Garde nationale encercla cette usine, braquant mitrailleuses et obusiers sur les grévistes qui l’occupaient. Mais la Garde nationale fut elle-même entourée d’une foule de 15 à 20 000 travailleurs mobilisés en faveur de la grève, cherchant à gagner les soldats mais se préparant à les affronter.

Finalement, le 11 février, la direction de GM rencontra à Detroit les dirigeants de l’UAW et du CIO, accepta de les reconnaître comme les représentants des ouvriers des usines en grève.

La grève se concluait victorieusement. Elle devait être le point fort d’une montée ouvrière qui se traduisit par 700 grèves importantes avec occupation dans la seule année 1937, et qui allait durer encore des années. Les grévistes, se lançant avec détermination dans des luttes contre le patronat et l’État coalisés, montraient toute la force que pouvait avoir la classe ouvrière. Cette mobilisation malheureusement ne déboucha pas sur une offensive contre le système capitaliste, mais les victoires retentissantes remportées par les travailleurs contre la bourgeoisie la plus puissante du monde restent une expérience et une leçon inoubliables.

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