Enfants réunionnais : l’État reconnaît ses crimes11/01/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/01/2528.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Enfants réunionnais : l’État reconnaît ses crimes

Dimanche 8 janvier, à Guéret dans la Creuse, a eu lieu la troisième et dernière audition par une commission du ministère de l’Outre-mer, des anciens enfants réunionnais exilés de force entre 1963 et 1982 dans 65 départements français.

L’État avait nié pendant trente ans un drame dénoncé dès 1972 par l’Union générale des travailleurs réunionnais de France et relayé notamment par Le Canard enchaîné et Hebdo TC (Témoignage chrétien). En 2002, suite à une plainte déposée par un des anciens Réunionnais déportés, la ministre socialiste Élisabeth Guigou avait commandé un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales : il dédouana alors totalement l’État français. En 2007, la cour administrative d’appel de Bordeaux débouta une demande de réparation déposée par des anciens déportés, au motif qu’il y avait prescription. Le même motif fut retenu par le Conseil d’État en juillet 2008 et par le tribunal administratif de La Réunion en 2009.

Mais, depuis février 2014, une résolution adoptée par l’Assemblée a reconnu que « l’État a manqué à sa responsabilité morale [envers] les enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 ». Maintenant que les responsables de toute cette politique ont disparu, il semble qu’il soit moins gênant pour l’État de reconnaître les méfaits d’un plan mis en œuvre par Michel Debré, ancien Premier ministre de de Gaulle, et député de La Réunion de 1963 à 1974.

La Réunion était devenue un département français en 1947, mais la politique coloniale de l’État n’avait pas disparu. Les familles vivaient dans une grande misère, sans tous les droits sociaux. Les allocations comme le smic et le RMI y étaient inférieures de 40 %, et le restèrent d’ailleurs respectivement jusqu’en 1996 et 2002.

C’est ce mépris social et colonialiste qui est à la base de l’enlèvement forcé de 2 150 enfants – selon les recherches récentes de la commission gouvernementale – pour repeupler les campagnes françaises du Gers, de l’Aveyron, du Tarn, de Lozère, du Cantal et surtout de la Creuse. Debré voulait ainsi contenir le développement démographique de l’île par un contrôle des naissances et un programme d’émigration imposée qui frappaient d’abord les plus pauvres.

Comme le raconta en 2000 Jean-Jacques Martial, dans son autobiographie Une enfance volée, certains enfants furent tout simplement enlevés. Les autorités faisaient pression sur les parents, souvent illettrés et incapables de vérifier à quoi il s’engageaient. Un Réunionnais de la Creuse racontait récemment : « Ma mère ne savait ni lire, ni écrire, ni compter, et on m’a simplement dit que j’allais en métropole pour rattraper un retard scolaire. » Les dirigeants de la DDASS affirmaient en effet que les enfants allaient partir quelque temps en France acquérir un bon bagage scolaire et qu’ils reviendraient chaque année pour les vacances. Mais, une fois partis, les parents n’eurent plus jamais de nouvelles de leurs enfants.

À leur arrivée dans la Creuse, ils étaient conduits au foyer de Guéret, qui servait de centre de tri, puis séparés de leurs frères et sœurs. Ils étaient répartis dans des familles qui touchaient des aides pour recevoir ces prétendus orphelins. Aux travaux pénibles à la ferme s’ajoutaient souvent le racisme et les vexations de toutes sortes. Marie-Josiane Grenier, transplantée en 1966, selon l’expression hypocrite des autorités, ose seulement aujourd’hui dénoncer « les viols dès qu’elle devient jeune fille et les passages à tabac pour qu’elle se taise ».

Isolés dans un monde tout aussi peu préparé à leur accueil qu’ils ne l’étaient eux-mêmes à leur exil forcé, les enfants vécurent un cauchemar uniquement reconnu des décennies plus tard.

Partager