Leur société

Fichier TES : tous fichés et surveillés !

Le décret portant sur la création d’un fichier appelé TES (acronyme de titres électroniques sécurisés), réunissant dans une base de données unique les informations des cartes d’identité et des passeports, a été publié au Journal officiel dimanche 30 octobre, pendant le week-end de la Toussaint.

Le ministère de l’Intérieur a-t-il voulu le faire passer en douce, comme l’a affirmé la secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation, Axelle Lemaire, fâchée de ne pas avoir été informée ? À l’évidence, c’est raté.

La création de ce fichier comportant les informations personnelles et les données biométriques de plus de 60 millions de citoyens a suscité l’inquiétude de nombreuses associations, dont la Ligue de défense des droits de l’homme. Relayant leurs critiques, le Conseil national du numérique, organisme consultatif spécialiste de ces questions, a appelé le gouvernement, dans un communiqué lundi 7 novembre, à suspendre cette mesure, car « l’existence de ce fichier laisse la porte ouverte à des dérives aussi probables qu’inacceptables ».

Obligé de réagir, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a finalement proposé d’organiser un débat parlementaire sur cette question. Face aux critiques venant de la droite, il a eu beau jeu de rappeler que cette mesure était prévue dans une loi adoptée en 2012 par l’Assemblée nationale, à majorité de droite. Il aurait pu aussi rappeler qu’à l’époque, au nom de la défense des libertés individuelles, les députés socialistes, en particulier Jean-Jacques Urvoas, l’actuel garde des Sceaux, s’étaient opposés à la mise en place d’un tel fichier.

Cazeneuve prétend aujourd’hui que son décret ne viserait qu’à moderniser le système de fichage, pour faciliter la lutte contre la fraude et simplifier les démarches de ceux qui voudront renouveler leurs papiers, tout en faisant des économies de personnel chiffrées à 2 000 postes à temps plein. Que la population puisse tirer bénéfice de la diminution du nombre d’employés dans les préfectures et du renforcement du climat de suspicion, rien n’est moins sûr. Ceux qui verront l’accès à toutes ces informations simplifiés, ce sont à coup sûr la police et les officines de renseignement.

La méfiance suscitée par une mesure facilitant la surveillance de la population est tout à fait fondée. Parmi ceux qui critiquent le fichier TES, certains mettent en avant l’usage que de futurs gouvernements plus autoritaires pourraient en faire. Mais, sans même se projeter dans un avenir lointain, l’État actuel, dit démocratique, est capable d’avoir recours à des méthodes d’espionnage de masse, bien au-delà du cadre que la loi lui reconnaît. En 2015, en présentant une énième loi renforçant l’arsenal sécuritaire, le gouvernement avait justifié l’adoption de certaines mesures par la nécessité de légaliser des pratiques illégales des agents de renseignement.

Les réglementations et les organismes de contrôle, comme la CNIL, ne sont qu’un mince voile jeté sur la réalité. Avec ou sans fichier TES, les organes de l’État se livrent à leurs tâches de surveillance et de répression comme ils le jugent nécessaire, et sans aucun réel contrôle.

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