Dans le monde

Colombie : un processus de paix fragile

En accordant le prix Nobel de la paix au président de la Colombie, Juan Manuel Santos, les membres du jury Nobel, ou ceux qui les ont inspirés, ont incité à la poursuite des accords de paix entre l’État colombien et la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Cela compense pour une part les effets du référendum qui, contre toute attente, s’était soldé par la victoire du « non », plaçant les signataires de l’accord dans une position difficile.

Le référendum du 2 octobre était censé couronner l’accord signé avec les Farc le 26 septembre. La victoire du « non » a fait l’effet d’une douche froide. Certes, l’abstention était massive, près de 63 %, et la différence entre les deux camps n’était que de 52 000 voix. Des régions touchées par des inondations n’avaient pas voté et des élus favorables à l’accord n’avaient pas mobilisé leurs électeurs, comme ils le font quand leur poste est en jeu.

C’est dans les régions les plus directement touchées par la guerre civile, des régions plutôt rurales, que la population a voté « oui ». Car, si le bilan de 52 années d’affrontements est de 260 000 morts et 8 millions de personnes déplacées, c’est d’abord parce qu’à l’origine il y avait la politique d’accaparement des terres par les grands propriétaires, avec l’appui de groupes paramilitaires qui chassaient les paysans. En revanche, dans les régions urbaines, à l’exception de la capitale Bogota, le « non » l’a emporté, comme à Medellin, le fief de l’ex-président Uribe qui a tout fait pour discréditer l’accord.

Bien que Santos ait été dans le passé un ministre de Uribe et que tous deux soient des hommes de la bourgeoisie, ils sont opposés sur la question de la paix avec les Farc. Uribe y est depuis toujours violemment opposé. Pour l’un comme pour l’autre, la suite de leur carrière politique se joue sur cette question. Pendant la campagne du référendum, les clips du clan Uribe ont dénoncé en boucle l’impunité des Farc, les avantages dont ils allaient bénéficier en réintégrant la vie civile et bien sûr la menace castro-chaviste qu’ils représenteraient.

L’opération a réussi du côté des partisans d’Uribe. Depuis toujours, notamment pendant ses deux mandats présidentiels, il a rabâché que les seuls responsables des affrontements armés étaient les Farc, alors que la grande majorité des victimes sont le fait des paramilitaires et de l’armée. Depuis toujours, des paramilitaires assurent les basses œuvres des grands propriétaires et des multinationales. Et, même s’ils ont été démobilisés, ils continuent de sévir. Rien que cette année, trente syndicalistes ont été assassinés.

L’échec du « oui » découle aussi de l’écœurement d’une partie des électeurs à cause des promesses non tenues des gouvernements successifs et des multiples preuves de collusion entre politiciens et narcotrafiquants. Les classes populaires doivent survivre avec un salaire minimum qui ne couvre que la moitié des besoins et les deux tiers des salariés du bâtiment, des hôtels-restaurants, du commerce ou des télécommunications ne travaillent qu’au noir.

Le prix Nobel, obtenu contre toute attente, a relancé le clan Santos. Uribe a même dû, certainement à regret, l’en féliciter. Santos est donc reparti en quête des concessions qu’il devra faire pour calmer le clan Uribe. Il veut aussi convaincre l’autre guérilla, celle plus modeste de l’ELN (Armée de libération nationale), de déposer les armes.

On ne peut savoir aujourd’hui ce que deviendra l’accord de paix. Mais, même s’il allait à son terme, il ne mettrait pas fin à la rapacité des classes possédantes, qui n’ont jamais été regardantes sur les moyens pour imposer leurs exigences ; une rapacité qui est d’ailleurs à l’origine des dizaines d’années d’affrontements armés qui ont marqué la Colombie, bien avant même que ne naissent les Farc.

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