En Espagne : coup d’État et révolution trahie27/07/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/07/2504.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

En Espagne : coup d’État et révolution trahie

Le 17 juillet 1936, quand le général Franco appela l’armée espagnole à s’insurger contre le régime en place, ce ne fut une surprise, réelle ou feinte, que pour ceux qui se considéraient comme protégés par l’ordre institutionnel. En effet, aussi bien au sein de l’état-major qu’au sein de l’extrême droite, les projets ne manquaient pas visant à renverser la toute récente République issue de l’élection de 1931, qui avait mis fin à la monarchie. Au cours de ces cinq années, les affrontements entre, d’un côté, les classes possédantes liées aux militaires et aux partis réactionnaires, et, de l’autre, les paysans sans ressources et les travailleurs surexploités, n’avaient pas cessé.

Le général Franco, l’initiateur de ce putsch, n’était pas un inconnu. C’était lui qui, en octobre 1934, avait férocement réprimé la révolte ouvrière des Asturies.

Ce ne fut pas une surprise non plus de voir la classe ouvrière et la paysannerie réagir immédiatement au coup de force. Celles-ci disposaient en effet d’organisations puissantes, combatives, forgées dans de rudes combats. Au sein des syndicats et des formations politiques qui s’étaient développés depuis la fin du 19e siècle, le courant anarchiste jouait un rôle déterminant, par le biais de la Confédération nationale du travail (CNT) et de la Fédération anarchiste ibérique (FAI). Parallèlement, il s’était aussi développé un influent Parti socialiste qui dirigeait l’important syndicat UGT. Ce parti s’appuyait sur une présence militante ancienne à l’échelle du pays et une confiance qui se traduisit par d’importants succès électoraux dans les élections locales et générales organisées dès le début de la République de 1931. S’ajoutaient un Parti communiste lié à l’URSS stalinienne qui, en cette année 1936, disposait d’une implantation nettement moindre, ainsi que le Parti ouvrier d’unification marxiste, le POUM, contestant la politique stalinienne aussi bien sur le plan international qu’en Espagne. Très minoritaire lui aussi, il n’en disposait pas moins d’une influence réelle, en particulier en Catalogne. C’est de toutes ces forces que jaillit l’impressionnante réaction au coup d’État de Franco.

Les militaires comptaient renverser sans coup férir la jeune République. Ils croyaient soumettre le gouvernement issu des élections de février 1936, qui avaient donné une majorité aux partis de gauche, regroupés au sein du Frente popular (Front populaire), et faire régner l’ordre. Ce fut l’inverse. En quelques heures, l’initiative de l’état-major militaire suscita des soulèvements dans diverses régions. Le coup d’État déclencha une crise politique qui déboucha sur trois années d’une guerre sans merci. Elle se termina par la victoire des franquistes, en 1939, et par la mise en place d’une dictature qui allait peser très lourd, jusqu’en 1975, sur la société espagnole.

Simple guerre civile ? Non, révolution sociale

Ces trois années d’affrontements ne furent pas seulement un combat entre deux fractions qui se disputaient le pouvoir.

Du côté de la classe ouvrière et de la paysannerie très pauvre, quand elle n’était pas sans terre, ce fut une véritable révolution sociale, entraînant dans son sillage la majorité de la population laborieuse. Le soulèvement de Barcelone qui, le 19 juillet, fit barrage à l’avancée des troupes montrait la force que représentaient les centaines de milliers de travailleurs de cette grande ville. Et des mobilisations du même type se développèrent à Madrid et dans d’autres régions. Pour les travailleurs, les paysans, qui se dressèrent contre les militaires, il s’agissait d’affronter une contre-révolution implacable, incarnée par une armée et un appareil d’État aux vieilles traditions réactionnaires, rejoints par diverses milices d’extrême droite, parmi lesquelles la Phalange.

La victoire des classes populaires était possible. Mais leurs luttes furent dévoyées par les dirigeants mêmes du mouvement ouvrier.

L’espoir trahi

Face aux putschistes et à leurs soutiens, les politiciens qui dirigeaient le camp dit républicain firent tout pour masquer le caractère révolutionnaire de la situation et contrecarrer son développement. Leur politique, dans un premier temps hésitante, attentiste, devint en quelques mois ouvertement contre-révolutionnaire. En mai 1937, le gouvernement de la Généralité de Catalogne, dominé par les nationalistes catalans alliés aux socialistes et au Parti communiste stalinien, commanda l’assaut du central téléphonique de Barcelone occupé par les anarchistes. Pire encore, la répression contre ceux qui contestaient tant soit peu la politique gouvernementale se poursuivit par des enlèvements qui se terminèrent parfois par l’assassinat de dirigeants de gauche critiques. Ce fut le cas, par exemple d’Andrès Nin, principal dirigeant du POUM, enlevé puis exécuté par les émules de Staline.

Cette révolution ne fut pas seulement anesthésiée, trahie politiquement par les partis politiques qui en avaient usurpé la direction, mais elle fut poignardée par tous ceux, républicains, sociaux-démocrates, staliniens qui, pour des raisons diverses mais convergentes, avaient choisi le maintien de l’ordre, de l’ordre bourgeois, expliquant à la fois « qu’il ne fallait pas diviser » (donc critiquer), et éliminant ceux qui critiquaient leur politique ou risquaient de le faire.

La révolution manquée en Espagne et le contexte international

Ce qui se déroulait en Espagne n’était pas déconnecté de ce qui se déroulait dans le reste du monde. Bien au contraire. La combativité, la mobilisation ouvrière et paysanne qui s’y développaient depuis le début des années trente s’inscrivaient dans un mouvement plus vaste qui touchait nombre de pays, en particulier la France toute proche avec la mobilisation et les grèves de juin 36.

C’était une réaction à la crise de 1929 et à ses effets dévastateurs sur le monde ouvrier. C’était aussi une réaction, plus ou moins formulée, à la montée réactionnaire qui s’était traduite par la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne, présageant une seconde guerre impérialiste mondiale.

La victoire de la révolution sociale en Espagne et la contagion qu’elle aurait immanquablement provoquée dans le reste du monde aurait sans doute pu sérieusement entraver cette marche à la guerre.

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