Il y a quarante ans : en Argentine, l’armée prenait le pouvoir23/03/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/03/2486.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a quarante ans : en Argentine, l’armée prenait le pouvoir

Le 24 mars 1976, les militaires argentins allaient imposer un régime de terreur jusqu’en 1983.

Cette dictature, l’une des plus féroces de l’histoire argentine, n’était pas la première. En 1955, l’armée avait déjà chassé du pouvoir le général Peron qui, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, avait entamé le développement d’une économie nationale en s’appuyant sur la complicité de la bureaucratie de la CGT, principal syndicat argentin. C’est une période qui reste aujourd’hui encore gravée dans le cœur de bien des ouvriers argentins.

En 1959, le succès de la révolution cubaine convainquit une génération de militants de gauche d’Amérique latine d’imiter les castristes. En Argentine, la jeunesse péroniste, les Monteneros, lança des actions de guérilla. Puis, de 1966 à 1973, il y eut une nouvelle dictature militaire mais, en 1969, la classe ouvrière entrait en lutte. Et la contestation persistante conduisit la bourgeoisie à faire revenir Peron en 1973, dans l’espoir que son crédit ferait rentrer les travailleurs dans le rang, rôle qu’il joua jusqu’à sa mort en 1974.

Les années 1973-1976, officiellement sans dictature militaire, furent des années où l’armée et ses officines répressives d’extrême droite, notamment l’Alliance anticommuniste argentine, furent à l’œuvre. L’armée argentine avait appris auprès de l’armée française l’art de réprimer les guérillas et les insurrections. En 1975, elle démantela une guérilla à Tucuman en appliquant les méthodes utilisées par les paras français dans la casbah d’Alger en 1957, terrorisant et torturant la population afin d’isoler et anéantir les guérilleros. En 1975 commencèrent les enlèvements et assassinats de militants. Neuf cents personnes furent ainsi assassinées avant le putsch de 1976.

Quand les militaires reprirent le pouvoir, ils reçurent le soutien immédiat des États-Unis qui supervisaient alors toute la répression en Amérique du Sud par la tristement célèbre opération Condor. Dès le 27 mars, le FMI accordait un prêt important aux militaires argentins. En même temps, le politicien américain Kissinger les invitait à agir avec discrétion, car l’opinion publique internationale avait déjà été secouée par le coup d’État chilien de 1973.

Dès le premier jour du putsch, les militaires étaient à la sortie des usines, se faisant désigner les ouvriers combatifs. Ils arrêtèrent les étudiants et les lycéens qui avaient mené des luttes, les avocats qui défendaient les militants emprisonnés, etc. Cinq organisations d’extrême gauche furent interdites dont les deux partis trotskystes d’alors, ainsi que le regroupement de plusieurs dizaines d’organisations syndicales.

Sous le nom de Processus de réorganisation nationale, les militaires entendaient éradiquer la « subversion marxiste », c’est-à-dire tous ceux qui n’étaient pas en accord avec l’« identité nationale » qui, à leurs yeux, ne pouvait être qu’occidentale et chrétienne. Ce faisant, ils reçurent le soutien de la hiérarchie de l’Église catholique.

Les militaires eux-mêmes nommèrent cette répression la « sale guerre ». En 1977, un général expliqua : « D’abord nous tuerons tous les agents de la subversion, puis leurs collaborateurs et puis enfin leurs sympathisants ; ensuite viendront les indifférents et enfin pour terminer les indécis. » Quand le général Videla, premier chef de la junte militaire fut interrogé sur le fait que l’on ne trouvait plus trace des militants arrêtés, il laissa entendre qu’ils avaient été relâchés et qu’ils avaient « disparu ». Dès lors on parla des « disparus ». Leurs mères s’organisèrent en pleine dictature pour protester chaque jeudi et exiger leur « réapparition en vie ». Leurs premières dirigeantes furent assassinées par l’armée mais elles poursuivirent le combat, y compris après la dictature, pour retrouver les enfants de militants volés par les militaires qui entendaient les faire rééduquer...

Pendant sept ans, le pays vécut dans la terreur des Ford Falcon qui arrivaient de jour comme de nuit pour arrêter des opposants et les conduire vers les centres de torture qui se multiplièrent dans tout le pays. Au total, quelque 30 000 personnes disparurent, dont 30 % d’ouvriers.

Sur le plan économique, les militaires lancèrent la privatisation de l’économie pour faciliter l’entrée sur le marché argentin des multinationales étrangères, en tête les groupes nord-américains. Les militaires avaient le soutien de la Société rurale, la bourgeoisie des grands propriétaires terriens qui avait fait historiquement sa fortune dans l’élevage, et les aidèrent à prospérer dans l’agro-alimentaire. En quittant le pouvoir en 1983, les généraux laissaient à l’Argentine une dette de plusieurs dizaines de milliards de dollars et une inflation de 300 %.

Les gouvernements civils qui succédèrent aux militaires lancèrent une série de procès contre les principaux dirigeants de l’armée pour finalement passer deux lois qui les protégeaient de l’essentiel des poursuites. Il fallut attendre l’arrivée du péroniste Kirchner en 2003 pour que, dans sa recherche d’alliés sur sa gauche, il relance les procès contre l’armée. Plusieurs dizaines de cadres de l’armée ont depuis été condamnés. Mais la disparition en 2006 d’une victime de la dictature qui devait témoigner contre un officier tortionnaire a montré que les officines paramilitaires qui assumaient les basses besognes dans la période de la dictature n’ont pas disparu.

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