Turquie : reprise de la lutte à Renault-Bursa03/02/20162016Journal/medias/journalarticle/images/2016/02/RenaultBursa_page_9.JPG.420x236_q85_box-0%2C0%2C960%2C540_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : reprise de la lutte à Renault-Bursa

Erdogan et son parti, l’AKP, n’ont pu gagner les élections turques de novembre dernier qu’en faisant monter la tension dans tout le pays, notamment par la reprise de la guerre au Kurdistan. Ils n’en ont pas pour autant fini avec le mécontentement social, qui s’est manifesté notamment au printemps avec la grève des travailleurs de la métallurgie, en particulier à l’usine Renault de Bursa.

Illustration - reprise de la lutte à Renault-Bursa

Preuve que, malgré toutes ses rodomontades et ses gestes d’autorité, le gouvernement continue à craindre les travailleurs, il a décidé au 1er janvier une hausse du salaire minimum légal, porté de 1 000 livres à 1 300 livres (350 euros). Mais, visiblement, cela ne sera pas suffisant.

Déjà au printemps, le mécontentement portait d’abord sur les salaires, qui avaient perdu en quelques mois plus de 20 % de leur pouvoir d’achat du fait de la baisse de la livre turque face à l’euro et au dollar. Les grèves avaient touché de grandes usines regroupant des dizaines de milliers de travailleurs, chez Renault, Bosch, Fiat, Ford, Valeo, Delphi, Türk Traktör… Face à ce mouvement, le patronat avait dû reculer et céder un rattrapage salarial. Chez Renault, les travailleurs avaient obtenu sous forme de primes l’équivalent de 100 euros d’augmentation mensuelle.

Cependant on reste encore loin du compte. Ces 100 euros ont tout au plus comblé un peu les pertes passées, et maintenant l’inflation continue de plus belle. Le gouvernement Erdogan, au fond, le reconnaît avec cette augmentation du salaire minimum, qui s’accompagne d’ailleurs d’une aide de l’État aux patrons revenant à prendre en charge le tiers de la somme. Mais il ne prend aucune mesure pour les salaires supérieurs à 1 300 livres. Et un grand nombre de travailleurs estiment, avec raison, que ce sont tous les salaires qui doivent être revalorisés, car tous subissent les effets de l’inflation.

À l’usine Renault de Bursa, qui a été à la pointe des grèves du printemps, les mouvements de protestation ont donc repris dès le début janvier, et ils vont crescendo.

Les travailleurs ont commencé par faire du chahut à la cantine, puis ont organisé des rassemblements dans l’usine après le travail, finissant par des défilés impressionnants. Le 14 janvier une rencontre a eu lieu entre les délégués élus lors de la grève de mai et la direction, qui a déclaré qu’elle ne pouvait décider seule d’augmenter les salaires, les négociations se faisant par branche et Renault étant affilié au MESS, le syndicat patronal de la métallurgie.

Conscients de leur force depuis la grève du printemps, les travailleurs ne se laissent pas impressionner par ce type de réponse. Les dimanches 24 janvier et 31 janvier, près de 200 délégués se sont réunis, chacun représentant une UET (petite unité de production d’une vingtaine de personnes), et ont décidé des actions à venir. Ils manifesteront donc tous les lundis et mercredis à la fin du travail, sur chacune des trois équipes, du matin, de l’après-midi et de la nuit, pour réclamer une augmentation équivalant à celle du salaire minimum.

Les travailleurs ont aussi décidé le refus collectif des heures supplémentaires, que la direction a rendues quasi obligatoires et grâce auxquelles elle arrive à augmenter fortement les cadences des chaînes. Enfin, ils ont repris une des initiatives du printemps : se regrouper tous lors de leur arrivée à l’usine et n’y rentrer que tous ensemble, après avoir vérifié qu’aucun d’entre eux n’a été licencié.

Les conséquences sont déjà là pour la direction. Depuis le début de ces actions, plusieurs milliers de véhicules sont sortis non finis des chaînes et le parc de retouche où ils devraient être achevés est saturé. Il y aurait un retard de production de plus d’un millier de voitures pour janvier et, alors que le modèle Clio 4 se vend bien, Renault n’arrive pas à fournir ses clients. La direction du groupe a bien tenté de rapatrier une partie de sa production à l’usine de Flins, en France, où le même modèle est fabriqué, mais le site ne peut produire plus en ce moment : non seulement la direction y a fortement réduit le personnel, mais les travaux engagés pour fabriquer le modèle Nissan Micra à Flins réduisent ses capacités de production.

En tout cas, les travailleurs de Renault Bursa reprennent le chemin de la lutte avec confiance. Le groupe Renault est en difficulté face à cette nouvelle mobilisation, tandis que le gouvernement et le patronat turcs craignent une contagion au reste du pays. Le problème du rattrapage des salaires par rapport à l’inflation se pose pour tous les travailleurs. Dans bien des usines, ceux-ci observent attentivement ce qui se passe chez Renault et se préparent à mettre à leur tour la question sur le tapis.

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