Il y a 50 ans, Feyzin : une catastrophe prévisible06/01/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/01/2475.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Il y a 50 ans, Feyzin : une catastrophe prévisible

Le 4 janvier 1966, une fuite de gaz à la raffinerie de Feyzin, au sud de Lyon, provoquait un incendie suivi de l’explosion de plusieurs cuves de stockage de propane liquide. Il fallut une trentaine d’heures aux pompiers pour maîtriser l’incendie. La catastrophe fit dix-huit morts – onze pompiers et sept travailleurs de la raffinerie ou des entreprises sous-traitantes – et une centaine de blessés, certains très gravement. Des centaines de logements dans le quartier voisin des Razes, pas même protégé par une butte de terre, virent leurs vitres, portes et fenêtres soufflées par l’explosion.

L’accident de Feyzin marqua les esprits car c’était la première catastrophe industrielle de cette ampleur en France dans l’après-guerre. Mise en service deux ans plus tôt pour alimenter en essence et en dérivés pétroliers la région Rhône-Alpes et les nombreuses usines chimiques autour de Lyon et Grenoble, la raffinerie de Feyzin avait été construite sous l’égide des pouvoirs publics sur un site industriel, le « couloir de la chimie », aux portes d’une grande ville, près d’un quartier d’habitations et à proximité immédiate de l’autoroute du Soleil. Elle appartenait à un consortium public-privé dans lequel l’Union générale des pétroles (UGP), entreprise d’État devenue Elf en 1967, était majoritaire.

Des négligences criminelles

Le procès, quatre ans plus tard, mit en évidence les multiples insuffisances dans les dispositifs de sécurité de la raffinerie comme dans le plan d’intervention des pompiers. Un mois avant sa mise en service, le responsable de la sécurité incendie avait démissionné, estimant très insuffisants les moyens mis à sa disposition, trois sapeurs-pompiers et des équipements non testés. Le personnel, nouveau, n’avait été ni formé aux dangers spécifiques ni entraîné aux règles de sécurité à respecter lors des manipulations.

Ainsi, c’est une mauvaise manœuvre lors de l’ouverture des vannes d’une sphère de stockage, effectuée par un ouvrier seul alors qu’ils auraient dû être deux, qui avait provoqué la fuite massive et irréversible de gaz. Pourtant, deux incidents s’étaient déjà produits lors de la même manœuvre.

Les pompiers furent les principales victimes de la catastrophe. Pas entraînés pour intervenir dans la raffinerie ni sur ce type de feu, mal coordonnés entre brigades qui ne disposaient d’aucun plan de lutte contre l’incendie, ils furent surpris par l’explosion de la cuve en feu qu’ils tentaient de refroidir, qui tua plusieurs d’entre eux et en blessa grièvement des dizaines. Ils découvrirent un réseau hydraulique à la pression insuffisante et durent abattre à la pelleteuse une clôture qui leur interdisait l’accès au canal du Rhône voisin de la raffinerie !

Contrairement aux normes qui allaient l’exiger par la suite, aucun mur étanche ne séparait la raffinerie de l’autoroute A7 voisine, ce qui permit l’écoulement puis l’embrasement du gaz à l’extérieur du site.

Le profit avant la sécurité

L’usine de production n’ayant pas été touchée, la raffinerie reprit rapidement ses activités. Évidemment, après la catastrophe, des mesures de sécurité plus draconiennes furent prises. En particulier, le préfet imposa la présence d’un groupe de 36 pompiers permanents travaillant en équipe.

Mais trente ans plus tard, les gains de productivité et la recherche d’économies avaient repris le pas sur la sécurité. En 1998, sous la pression de Total, propriétaire de la raffinerie, un arrêté préfectoral autorisait la réduction du nombre de pompiers. Malgré deux mois de grève, la direction de la raffinerie, qui ne supportait pas que les pompiers soient exclusivement dédiés à la sécurité, leur imposa d’occuper, en plus, un autre poste.

L’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001 a ravivé la crainte des riverains et a conduit les diverses usines du couloir de la chimie à « communiquer » pour les rassurer. Après cette nouvelle catastrophe, les autorités ont diffusé un peu largement dans les communes limitrophes des plaquettes avec des informations sur la conduite à tenir en cas d’alerte.

En 2003, Roselyne Bachelot, ministre de Chirac, faisait voter une loi sur la gestion de l’urbanisme autour des établissements à risques. Elle prévoyait la mise en place d’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT). En 2006, la raffinerie de Feyzin et le couloir de la chimie furent retenus comme sites pilotes pour élaborer un PPRT. Mais il fallut encore dix ans d’études et sans doute de tractations avec Total, Rhodia, Solvay ou Arkema, pour que ce PPRT se traduise en mesures concrètes.

Ces derniers mois, les habitants de Feyzin et de Saint-Fons, deux communes directement concernées par les risques de l’industrie chimique, ont eu droit à des réunions d’information sur les travaux qui doivent être réalisés à partir de 2016. Pour les plus exposés, comme les 2 000 habitants du quartier des Razes, le coût des travaux pourra atteindre 20 000 euros par logement ; quelques maisons devront être détruites. L’État, la métropole de Lyon, la commune de Feyzin se sont engagés à rembourser les travaux. Mais le comble, c’est que les industriels, directement responsables des risques et des nuisances pour les riverains, riches à milliards comme Total ou Solvay, ne participeront que marginalement à ces remboursements, alors qu’ils devraient en payer l’intégralité.

À Feyzin comme à Toulouse ou ailleurs, les grands groupes comme Total utilisent leur puissance financière et leurs connivences dans l’appareil d’État pour échapper à leurs responsabilités financières, écologiques ou sanitaires.

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