Indonésie – octobre 1965 : le coup d’État de Suharto et le massacre des communistes07/10/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/10/2462.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

Indonésie – octobre 1965 : le coup d’État de Suharto et le massacre des communistes

En octobre 1965, il y a cinquante ans, l’armée indonésienne et son chef, le général Suharto, prenaient le pouvoir en écartant le président Sukarno. C’était le début d’une répression féroce contre les masses indonésiennes et le Parti communiste indonésien (PKI). On ignore le chiffre exact des victimes, de 500 000 à 2 millions de morts, mais le PKI, le plus grand parti communiste d’Asie après le parti chinois, fut liquidé avec ses 3,5 millions de membres. Tous ses dirigeants furent assassinés. Les organisations de masse animées par le PKI (syndicats ouvriers, organisations de jeunesse, de femmes ou de paysans pauvres, qui rassemblaient de 15 à 20 millions de membres, soit près d’un cinquième de la population) furent aussi rayées de la carte.

Dans cet immense archipel, des expéditions punitives mobilisant des milices religieuses musulmanes, mais aussi catholiques ou protestantes, ou au service des propriétaires terriens, furent lancées dans toutes les îles. À Bali, en une seule expédition, 50 000 communistes furent massacrés. Des centaines de milliers de prisonniers furent enfermés dans des camps de concentration. Des simulacres de procès s’achevèrent par des exterminations en masse. Cette vague de terreur se poursuivit pendant tout le règne de Suharto, jusqu’à sa chute en 1998.

Ce qui fut un des plus grands massacres du 20e siècle valut à Suharto les félicitations des dirigeants de l’impérialisme américain. Des journaux américains parlèrent « de la meilleure nouvelle pour l’Occident en Asie depuis des années ».

Le PKI était la cible de l’armée, des propriétaires terriens et des groupes religieux musulmans profondément anticommunistes, appuyés et encouragés par les USA. Mais il payait aussi pour sa propre politique nationaliste et réformiste, et le fait de n’avoir jamais voulu préparer les masses indonésiennes à s’affronter aux possédants et à leur armée.

Un parti nationaliste stalinien

Le Parti communiste indonésien avait été créé en 1920, dans la foulée de la vague révolutionnaire d’alors. Mais il était devenu rapidement un parti appliquant la politique définie par les dirigeants de l’URSS devenue stalinienne. Au lieu de rechercher l’alliance révolutionnaire des ouvriers et des paysans sous la direction de la classe ouvrière, contre la bourgeoisie et contre l’impérialisme, Staline prônait l’unité avec une bourgeoisie nationale parée de vertus anti-impérialistes, sous la direction de cette dernière. En Indonésie, cela voulait dire faire obédience aux nationalistes du Parti national indonésien dirigé par Sukarno.

Les Hollandais avaient pris pied dans l’archipel à la fin du 16e siècle et depuis pillaient les richesses du pays devenu leur colonie. En 1940, dans un pays d’environ 70 millions d’habitants, seuls 9 000 enfants indonésiens allaient à l’école primaire et 240 dans un établissement secondaire. Même aux Pays-Bas, des voix s’étaient élevées contre cette exploitation forcenée.

Sukarno, dirigeant bourgeois « non aligné »

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le pays fut occupé par les Japonais, qui firent sortir des prisons hollandaises les nationalistes, comme Sukarno, qui eurent la possibilité de développer leur mouvement. En août 1945, au moment de la capitulation japonaise, celui-ci proclama l’indépendance du pays, mais il fallut encore quatre ans de guerre et l’intervention des USA pour que les Pays-Bas se retirent définitivement. Le drapeau indonésien flotta enfin sur Djakarta, la capitale, l’ancienne Batavia hollandaise.

Dès 1949, Sukarno, nationaliste fondamentalement anticommuniste, réprima férocement le PKI. Les liens entre le PKI et Sukarno évoluèrent cependant, quand ce dernier voulut prendre quelque distance avec les puissances impérialistes et chercha à se servir du Parti communiste pour faire contrepoids aux pressions de celles-ci. Sukarno mit en place le Nasakom, une alliance de toutes les forces nationales et religieuses, en y incluant aussi les communistes. En acceptant de s’y joindre, le PKI se mettait à la remorque de la bourgeoisie nationale et entraînait avec lui les masses pauvres qu’il influençait.

Pour justifier son soutien désormais sans faille à Sukarno, le PKI mit en avant la politique étrangère de ce dernier, marquée notamment en 1955 par la conférence de Bandoung. Dans cette ville d’Indonésie, Sukarno réunit un « mouvement des pays non alignés » (sur les USA ou l’URSS). Les participants venus de 29 pays, de la Chine de Mao à l’Inde de Nehru en passant par l’Égypte de Nasser ou la Yougoslavie de Tito, avaient en commun d’essayer de limiter le pillage de leurs richesses par les trusts impérialistes et, pour cela, de vouloir affirmer l’indépendance politique de leur pays. Le PKI vit en Sukarno un champion de la lutte anticolonialiste quand, en 1957, celui-ci mit la main sur les biens des compagnies hollandaises, expulsa 46 000 Hollandais, puis nationalisa le pétrole et réalisa un timide début de réforme agraire. Cette politique de soutien à Sukarno semblait justifiée par les rapides succès du PKI, qui devenait une force électorale et militante de premier plan. En 1957, il était le premier parti du pays sur le plan électoral, avec 8 millions de voix. En 1965, il avait cinq ministres au gouvernement, dont son président et son vice-président.

Vers le massacre

Mais, plus le PKI semblait gagner de l’influence, plus ses adversaires, les généraux indonésiens, les propriétaires fonciers et les religieux de toute sorte, sans oublier les USA, s’en inquiétaient et se préparaient à l’affronter. Le secrétaire d’État américain Dulles expliqua que « le PKI devenait le principal problème en Indonésie », et l’ambassadeur américain expliqua qu’il n’était pas possible de le vaincre « en ayant recours aux moyens démocratiques ordinaires ». Pour les USA engagés de plus en plus massivement dans la guerre du Vietnam, il n’était pas envisageable que l’Indonésie bascule dans le camp de la Chine et de l’URSS.

Face à la montée des bruits de bottes, le PKI ne sut pourtant que s’accrocher à Sukarno, le présentant comme l’unique planche de salut contre les généraux les plus anticommunistes. Le PKI se disait maoïste, car il avait choisi le camp de la Chine contre celui de l’URSS. Mais, même quand l’agitation gagnait les campagnes, il continuait à prôner la paix sociale et la modération. Il se bornait à répéter que ce serait au sein du gouvernement de Sukarno que les masses trouveraient des soutiens pour aller pacifiquement au socialisme. C’est ainsi qu’en octobre 1965, anesthésié par des années de soutien au régime de Sukarno, le PKI fut incapable de réagir et de lutter contre le coup d’État de Suharto et la vague de terreur blanche qui le suivit. Le 18 octobre 1965, le PKI fut officiellement interdit mais il n’existait déjà plus dans les faits.

Sukarno, qui devait être le rempart et le plus fidèle allié des masses et du PKI, n’empêcha rien. Il donna même l’ordre à Suharto et à l’armée de « maintenir l’ordre à Djakarta » contre les communistes, accusés d’avoir tenté de prendre le pouvoir. L’armée le maintint en place mais, en mars 1966, il transmit tous ses pouvoirs à Suharto, qui devint président de l’Indonésie un an plus tard. Sukarno mourut en 1970.

Trente ans d’une dictature féroce

Le PKI ne se remit jamais de cette défaite. L’armée au pouvoir imposa un régime de terreur féroce pour près de trente ans. L’athéisme fut interdit, l’enseignement religieux musulman devint obligatoire, les grèves furent réprimées. Les trusts occidentaux mirent la main sur les richesses du pays, profitant d’une main-d’œuvre à bas prix.

Les dirigeants actuels saluent encore en Suharto « un des meilleurs fils de l’Indonésie, qui a rendu de très grands services à la nation bien-aimée ». C’est rendre hommage à un assassin qui, en massacrant les communistes et les pauvres, a montré quel sort la bourgeoisie peut réserver à ceux dont elle craint qu’ils menacent sa domination, aussi réformistes, nationalistes et « raisonnables » qu’ils puissent se montrer.

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