Algérie – 8 mai 1945 : soulèvement et répression à Sétif12/05/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/05/2441.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 70 ans

Algérie – 8 mai 1945 : soulèvement et répression à Sétif

Le 8 mai 1945, alors même qu’en France on fêtait la victoire contre l’Allemagne, des manifestations avaient lieu en Algérie pour dénoncer la colonisation et réclamer l’indépendance. Le soulèvement qui suivit fut férocement réprimé par le gouvernement français de l’époque, gouvernement d’union nationale à la tête duquel se trouvait de Gaulle et qui, en plus de ministres socialistes, comprenait pour la première fois des ministres du PCF.

La défaite militaire de juin 1940 avait ébranlé l’autorité du pouvoir colonial de la France parmi les populations algériennes et l’idée de la fin du colonialisme se répandait largement. Un instituteur de Bougie (Béjaïa aujourd’hui) pouvait témoigner que sa phrase écrite au tableau « je suis français, la France est ma patrie » était transformée par la main de ses élèves en un « je suis algérien, l’Algérie est ma patrie ». Et alors que la fin de la guerre approchait, dirigeants américains, anglais et même français avaient plusieurs fois parlé du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, faisant encore monter d’un cran les espoirs d’indépendance.

La concentration des meilleures terres dans un tout petit nombre de mains de très riches colons avait créé un « immense prolétariat agricole dont les conditions de vie étaient difficiles et précaires », avouait le ministre de l’Intérieur de De Gaulle, Adrien Tixier. Les réquisitions de récoltes du temps de guerre avaient aggravé la situation des plus pauvres et de nombreuses régions étaient frappées par la famine.

Le Manifeste du peuple algérien

En février 1943, un dirigeant nationaliste algérien modéré, Ferhat Abbas, publia un Manifeste du peuple algérien, réclamant « un État algérien fédéré à la France ». Le même Ferhat Abbas créa, un an après, le mouvement des Amis du Manifeste et de la liberté (AML), dont le succès fut fulgurant : 500 000 Algériens y adhérèrent en quelques semaines.

L’AML fut en réalité utilisée comme couverture par un parti défendant clairement l’indépendance, le Parti du peuple algérien (PPA), qui avait été interdit et dont le leader, Messali Hadj, était emprisonné depuis 1937. Comme une grande partie des militants algériens les plus radicaux, Messali Hadj avait été lié au Parti communiste, à ses origines anticolonialiste. Le PPA, très implanté dans la classe ouvrière algérienne en France, resta un parti nationaliste, et lorsque le PC français s’engagea dans la politique des Fronts populaires et de la défense de l’impérialisme français, ce fut la rupture.

Le Parti communiste algérien (PCA) regroupait des militants dont la grande majorité se sentait profondément du côté du peuple algérien. Mais son refus de parler d’indépendance pour l’Algérie le mettait au bout du compte à la remorque du gouvernement colonial français et le faisait passer complètement à côté des sentiments des Algériens les plus pauvres. Lors d’un meeting du PCA à Sétif en avril 1945, quelques semaines avant les manifestations du 8 mai, l’orateur avait conclu son discours en appelant à « l’union de tous pour la lutte contre le fascisme et l’hitlérisme » sans dire un mot de l’indépendance.

Au début de l’année 1945, le mouvement de l’AML prenait de plus en plus d’ampleur. Parallèlement, l’agitation du PPA s’intensifiait sous forme de tracts clandestins, lus dans des réunions secrètes. Un tract non signé intitulé « La colonisation est un fléau – Mort à la colonisation » circulait dans les campagnes. On pouvait y lire : « La colonisation s’est établie par les massacres et par la destruction. Elle se maintient par l’oppression et par l’injustice. Nul ne pourra dire le contraire. Seul le colon nie cette vérité. Les colons, qui s’enrichissent de l’expropriation des Algériens musulmans et que le travail des Algériens engraisse, n’accepteraient jamais que les Musulmans partagent avec eux les richesses de ce pays (...) La colonisation est l’exploitation de l’homme par l’homme (...) Les colons d’Algérie (...) sont pour le racisme et contre la fraternité, pour les privilèges contre les droits de l’Homme. Cette colonisation n’est qu’une forme collective de l’esclavage individuel du Moyen Âge. (...) Elle ne relève d’aucune justice et tous les hommes libres doivent en poursuivre la destruction. »

Les manifestations des 1er et 8 mai

Lorsque le gouvernement autorisa les manifestations du 1er mai 1945, le PPA décida d’y participer en organisant, partout où il le pouvait des cortèges, séparés de la CGT et du PCA. Dans de nombreuses villes, des milliers et des dizaines de milliers d’Algériens scandèrent des slogans politiques comme « Libérez Messali », « Vive l’Algérie libre et indépendante », « Vive la démocratie », « À bas le colonialisme », « À bas l’impérialisme ».

À Alger, les manifestants se heurtèrent à un barrage de police qui tira dans la foule, faisant deux morts et des dizaines de blessés. De nombreuses arrestations eurent lieu les jours suivants partout dans le pays. Le PPA décida d’amplifier la mobilisation et d’utiliser pour cela les manifestations pour la signature de l’armistice prévue le 8 mai. C’est en Kabylie et dans le Constantinois qu’elles furent les plus massives.

À Sétif, le 8 mai était un jour de marché et la population de la ville décuplait. Le PPA avait prévu de manifester le matin alors que la manifestation des Européens devait avoir lieu l’après-midi. 10 000 personnes, peut-être plus, se rassemblèrent dès 7 h 30. Des pancartes et des banderoles avaient été préparées avec les mêmes slogans que pour le 1er mai. Un jeune scout algérien, Saal Bouzid, portait le drapeau du PPA, qui allait devenir le drapeau algérien.

Subitement, pancartes et drapeaux furent déployés et après avoir récupéré leurs ordres auprès de la préfecture, les policiers tentèrent d’arracher le drapeau de Saal Bouzid, l’un d’entre eux tira et celui-ci fut tué. En riposte aux provocations des policiers, la colère de la foule explosa. Des milliers de manifestants se répandirent dans les rues, se vengeant sur ce qui tombait entre leurs mains. Le cortège tenta de se reformer une seconde fois et subit à nouveau des tirs des gendarmes. La police, la gendarmerie et l’armée finirent par venir à bout de l’émeute, mais le lendemain matin 4 à 5 000 personnes tentèrent à nouveau un rassemblement, qui fut encore dispersé sous les coups de feu.

À Guelma, c’est le sous-préfet Achiary qui arrêta la manifestation en tirant en l’air mais en incitant les policiers à tirer, eux, dans la foule.

Une répression sanglante

À Sétif comme à Guelma, l’administration organisa la répression en armant des milices d’Européens qui se défoulèrent sur tous les Algériens qu’ils rencontraient. Le journaliste communiste Michel Rouzé, rédacteur en chef du journal Alger-Républicain, put écrire : « La loi martiale est proclamée. On distribue les armes aux Européens. Tout Arabe non porteur d’un brassard [distribué par les autorités] est abattu. » Un journaliste américain résuma la situation par la formule : « It was open season », qui signifie « La chasse est ouverte ». Dans de nombreuses autres villes du Constantinois et du reste de l’Algérie, d’autres manifestations eurent lieu ce 8 mai, la plupart sans affrontement.

À la nouvelle de la répression et de son ampleur, des soulèvements se déclenchèrent dans les campagnes du Constantinois. Dans la nuit du 8 au 9 mai, plusieurs milliers de paysans pauvres s’organisèrent pour assiéger puis attaquer la petite ville de Kherrata. Ailleurs, des fermes, des casernes et aussi des bâtiments administratifs furent attaqués.

L’État français mit alors en œuvre des moyens militaires d’ampleur. L’aviation et la marine bombardèrent des villages entiers, faisant des dizaines de milliers de victimes. Les exactions des milices et des militaires durèrent près d’un mois. Des légionnaires aimaient montrer leurs bras couverts de bracelets de femmes, témoignages de tous leurs meurtres.

Le gouvernement français de De Gaulle espérait ainsi noyer dans le sang les espoirs d’indépendance de la population algérienne. Tous les dirigeants des partis associés au pouvoir lui emboîtèrent le pas sans la moindre hésitation, des politiciens de droite jusqu’au PCF, en passant par les socialistes. L’Humanité rendit compte des massacres le 11 mai par l’intermédiaire du communiqué gouvernemental reproduit sans aucun commentaire : « À Sétif, attentats fascistes le jour de la victoire. Des éléments troubles, d’inspiration hitlérienne, se sont livrés à Sétif à une agression à main armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l’armée, maintient l’ordre. »

Mais la répression ne tua pas le mouvement. À peine neuf ans plus tard, en novembre 1954, une vague d’attentats donna le signal du départ de la guerre d’indépendance.

Partager