Dans le monde

Égypte : al-Sissi veut renforcer sa dictature

L’assassinat en Libye, par l’organisation État islamiste, de 21 travailleurs égyptiens coptes a donné l’occasion au maréchal-président al-Sissi de jouer devant les médias au défenseur des droits de l’homme, en tout cas du « droit » des Égyptiens sans travail à s’exiler quelques centaines de kilomètres à l’ouest de leurs frontières pour gagner leur subsistance et celle de leur famille.

Après avoir envoyé les F-16 bombarder les positions djihadistes – les Rafale de Dassault ne sont pas encore livrés – al Sissi en a appelé à une résolution de l’ONU donnant mandat à la coalition impérialiste pour des bombardements en Libye, avant de se rétracter.

Dans le même temps, au Caire, se tenait un procès, un de plus, contre les militants opposants à son régime. Le militant de gauche et blogueur Alaa Abdel-Fatah y a été condamné, le 23 février en appel, à cinq ans de prison, après avoir écopé en juin dernier, par contumace, de quinze ans pour participation à un « rassemblement illégal ». Il avait alors été arrêté chez lui par la police après avoir participé en novembre 2013 à un rassemblement dénonçant un projet de loi flambant neuf d’al-Sissi revenant à interdire toute manifestation. 24 autres manifestants ont été condamnés, eux, à des peines allant de trois à quinze ans de prison.

Les procès se multiplient

Deux semaines plus tôt, le 4 février, un autre militant de gauche, Ahmed Douma, avait été condamné à la prison à vie pour s’être opposé au régime dirigé par al-Sissi depuis le coup d’État de juillet 2013. Il faut noter que, quelques mois plus tôt, alors que Morsi était encore président en titre, Ahmed Douma avait été condamné à six mois de prison pour avoir qualifié ce dernier de criminel et assassin… Au cours du procès du 4 février, 229 autres accusés ont écopé de peines d’emprisonnement, dont 39 jeunes, mineurs, qui sont jetés en prison pour dix ans. Tous étaient accusés d’avoir participé à des affrontements devant le siège du gouvernement en… novembre 2011.

Indépendamment de ces procès médiatisés, des centaines d’opposants de gauche sont la cible de la répression des militaires au pouvoir. Dirigée contre tous ceux qui critiquent le régime, en particulier ceux qui espéraient en avoir fini avec Moubarak, puis Morsi, et aspiraient à voir les revendications populaires de début 2011 satisfaites, la répression policière qualifie tout manifestant, tout contestataire, de Frère musulman, et, à ce titre, lui fait subir coups, arrestation ou fusillade.

Mettant à profit l’émotion suscitée par les assassinats en Libye, al-Sissi vient de publier par décret une nouvelle loi antiterroriste qui lui permettra d’interdire purement et simplement tout groupe ou parti qui menacerait « l’unité nationale » ou troublerait « l’ordre public ». Le procureur général pourra demander à un tribunal criminel de qualifier tout suspect de terroriste et de le juger immédiatement. C’est une arme de plus aux mains de la dictature contre tous ceux qui la contestent, l’ont contestée ou la contesteront.

Les travailleurs en ligne de mire

En particulier, la dictature militaire est destinée à tenir en respect les travailleurs, les militants ouvriers qui s’opposent régulièrement, par des grèves, des sit-in, des manifestations, aux dirigeants d’entreprises publiques ou privées qui bafouent la moindre avancée obtenue dans la courte période qui a suivi la chute de Moubarak. Les promesses d’embauche, les augmentations de salaire décidées et non appliquées, les syndicats libres non reconnus, tout réclame une mobilisation pour être appliqué, au moment où le régime tente de faire payer les travailleurs, ne serait-ce que par la hausse des prix et le chômage croissant. Il n’est bien sûr pas question que la bourgeoisie, les hauts gradés et les notables du PND, le parti de Moubarak toujours aux affaires, voient le moins du monde leurs privilèges et leurs richesses se dégrader.

Un symbole de la détermination du pouvoir à maintenir ces privilèges, face à la misère qui progresse, est bien l’annulation des poursuites contre deux figures honnies en janvier 2011 : Nazif, le Premier ministre de Moubarak, et son ministre de l’Intérieur, al-Adly, accusés de corruption, un des fléaux qui prospèrent aux dépens de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre. Le second avait d’ailleurs déjà été blanchi, comme Moubarak lui-même, de sa responsabilité dans la mort, en 2011, de centaines de manifestants tués par la police ou les baltaguias, les voyous stipendiés du régime.

Le pouvoir dirigé par al-Sissi n’est guère inquiet des futures élections législatives, qui auront tout d’un simulacre. La plupart des partis de gauche ont d’ailleurs décidé, après l’assassinat par la police, le 24 janvier dernier, de la militante révolutionnaire Shaïma al-Sabbagh, de ne pas y participer ou de boycotter. Les généraux sont d’abord préoccupés de fourbir un arsenal répressif contre la contestation ouvrière et populaire qui n’a pas cessé de s’exprimer.

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