Dans le monde

Inde : Le Congrès a fait le lit de l'extrême droite hindoue

Après un scrutin étalé sur cinq semaines, au cours duquel 554 millions d'électeurs (68 % des inscrits) se sont exprimés, les élections au Parlement indien se sont soldées par la défaite écrasante du Parti du Congrès au pouvoir. Du fait du scrutin majoritaire à un tour, son score de 19,3 % (-9,3 %) lui laisse tout juste 44 sièges sur les 543 du Parlement, soit une perte de 162 élus.

Jamais le Congrès, qui a dirigé le pays pendant plus de 54 ans depuis son indépendance en 1947, n'était tombé aussi bas, ni en voix, ni en sièges. Et cela donne la mesure du discrédit que lui vaut la corruption de son régime et une politique en faveur du capital qui, avec la crise, a entraîné une misère croissante.

Du coup, le principal rival du Congrès, le BJP (Parti du peuple indien), le parti de l'extrême droite nationaliste hindoue, obtient 31 % des suffrages (+12,2 %) et ses élus passent de 116 à 282 - ce qui donne au BJP la majorité absolue. C'est donc son candidat, le Premier ministre en exercice de l'État du Gujarat, Narendra Modi, qui est devenu Premier ministre de l'Inde.

Une parodie démocratique

Le déroulement de ces élections aura constitué, en soi, une véritable insulte envers les classes pauvres. Ainsi le coût total de la campagne électorale est estimé à plus de 5 milliards d'euros - presque autant que la campagne présidentielle américaine de 2012 - ce qui représente la moitié du budget annuel du programme d'aide aux 90 millions de foyers les plus pauvres du pays !

Et encore ne s'agit-il que des dépenses de campagne à peu près mesurables. En plus, il y a l'« argent noir », selon l'expression consacrée en Inde, qui sert à acheter les voix. À elles seules, les saisies de la commission électorale ont ainsi permis de récupérer 5 millions d'euros d'« argent noir », et ce n'est qu'une toute petite partie de l'iceberg.

Bien que l'un des principaux thèmes ait été celui de la lutte contre la corruption, celle-ci a été d'ailleurs présente sous toutes ses formes dans ces élections. C'est ainsi qu'on estime à 17 % la proportion des candidats faisant l'objet de poursuites judiciaires, souvent pour des motifs liés à la corruption, mais aussi pour d'autres allant du viol à l'assassinat.

Enfin, dans ce pays pauvre que la presse occidentale ose décrire comme « la plus grande démocratie du monde », on a assisté à toutes les formes habituelles de tricheries et de violences, décrites ainsi par une organisation de défense des droits de l'homme indienne : « Vols et bourrages d'urnes, usurpations de cartes d'électeur, gangs armés empêchant les électeurs d'accéder aux bureaux de vote et usant d'intimidation ; militants passés à tabac, torturés, voire abattus ; usage fréquent de matraques, d'armes à feu, voire de bombes en guise d'arguments électoraux. »

Alors, les autorités peuvent bien se vanter d'un taux de participation record (+9 % par rapport à 2009). Mais, outre le fait que le taux d'inscription sur les listes électorales a baissé, qui peut savoir ce que cache réellement cette hausse de la participation électorale ?

La victoire du BJP

Ces élections n'auront en tout cas pas permis aux classes populaires de s'exprimer, car aucun des partis présents nationalement ne représentait leurs intérêts. Tout au plus ont-elles été un scrutin pour ou contre le Congrès. Et si le BJP en a été le principal bénéficiaire, cela tient d'une part au fait que c'était dans bien des endroits le seul adversaire crédible, et d'autre part au fait qu'il dispose de moyens considérables.

Le BJP est en effet le bras parlementaire de la galaxie que forme l'extrême droite nationaliste hindoue. On y trouve de multiples associations religieuses et culturelles, des groupuscules ayant tous les attributs des gangs néo-nazis occidentaux et une centrale syndicale dont les sections se comportent plus comme des syndicats patronaux que comme des syndicats. Mais son principal levier est le RSS (Organisation nationale des volontaires), organisation de plusieurs millions de membres qui, sous couvert de tradition culturelle hindoue, sont organisés en escouades subissant un entraînement militaire régulier. Ses membres ont été au premier rang des pogromes antimusulmans du passé.

Le nouveau Premier ministre indien, Modi, lui-même un dignitaire du RSS, fut compromis jusqu'au cou dans le pogrome de 2002 qui fit 2000 morts au Gujarat, avant de se faire réélire immédiatement après dans une campagne électorale lourdement chargée de démagogie antimusulmane.

Cette année, ce n'est pas cet aspect de sa politique que le BJP a fait valoir, en se présentant comme le seul parti capable de sortir l'Inde de la corruption. Cela ne manque pas de cynisme, vu la longue série de scandales qui marqua son passage au pouvoir entre 1996 et 2004. Mais surtout le BJP a promis de sortir le pays d'une crise qui pèse de plus en plus sur la population, en lui appliquant les méthodes qui, selon les commentateurs, ont permis à Modi de faire du Gujarat l'un des États indiens les plus riches, c'est-à-dire pour l'essentiel la multiplication des zones franches, la baisse des salaires et le gel ou la suppression de tous les programmes sociaux.

La victoire du BJP n'est sans doute pas une bonne nouvelle pour la classe ouvrière et les pauvres. Mais on comprend l'enthousiasme de la bourse de Bombay, qui a fait un bond de 5 % à l'annonce des résultats !

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