Leur société

Dieudonné, un « comique » lié à l'extrême droite

Que « l'humoriste » Dieudonné se rattache clairement au courant politique de l'extrême droite ne date pas de la récente polémique sur l'interdiction de ses spectacles-meetings à forte tonalité antisémite.

Quittant le terrain des sketches de ses débuts, Dieudonné a peu à peu abordé celui de la politique. Il a délibérément exploité la blessure qu'ont laissée dans la mémoire l'esclavage et la traite négrière pour remettre en cause l'ampleur, puis la réalité d'une autre barbarie : le massacre des juifs européens au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Des persécutions de juifs sous divers régimes, des tsars russes à l'affaire Dreyfus et à Pétain en France, en passant par les nazis en Allemagne, Dieudonné se moque de ce qui est pourtant une expression de la barbarie de la société bourgeoise, au même titre que l'exploitation esclavagiste des Noirs.

Dieudonné se garde d'ailleurs de condamner l'oppression coloniale, qui en Afrique a pris le relais de la déportation d'esclaves. Car sur ce terrain il aurait pu se heurter à l'extrême droite française dont il recherche le soutien depuis le milieu des années 2000.

Entretenant sciemment la confusion politique, Dieudonné peut paraître dénoncer certaines oppressions pour faire passer des idées complètement inverses. Il est là dans la tradition de l'extrême droite : le fasciste italien Mussolini proclamait qu'il y avait des « nations prolétaires » et Hitler avait appelé son parti « allemand ouvrier national-socialiste ». Ils utilisaient ce vocabulaire pour tromper toute une partie de la population pendant qu'ils emprisonnaient, torturaient et tuaient les militants communistes.

Depuis 2006, Dieudonné a montré à de nombreuses occasions sa proximité avec l'extrême droite française actuelle, et en particulier avec le Front national. Il s'est lié durablement avec le « penseur » Alain Soral qui développe les vieilles idées nationalistes et a été membre deux ans du comité central du Front national. Buvant un coup avec Le Pen père en 2006 à la fête « bleu-blanc-rouge » du FN, où dans les allées les propos racistes anti-Noirs et anti-Arabes côtoient les lieux communs antisémites, Dieudonné en a fait l'année suivante le parrain de sa fille, baptisée par un abbé intégriste catholique dans l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, fréquentée par l'extrême droite parisienne.

Depuis, les fréquentations de Dieudonné n'ont pas changé. Serge Ayoub, skinhead violent, dirigeant du groupuscule fascisant où militaient ceux qui ont tué l'an dernier l'étudiant d'extrême gauche Clément Méric, a eu droit à une interview vidéo complaisante par Dieudonné qui lui a permis de se justifier.

Et si les provocations antisémites de son « spectacle » attirent un public dont une partie croit naïvement que tout cela ne tire pas à conséquence, parmi ceux qui s'esclaffent dans la salle on a pu voir des représentants connus de l'extrême droite. Car les idées d'extrême droite ne sont pas que ces blagues racistes (antisémites ou pas) qu'un Le Pen ou qu'un Dieudonné lâchent pour faire rire ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Elles peuvent être une arme politique permettant au patronat de diviser les travailleurs, en les cataloguant en « communautés » diverses qui devraient se dresser les unes contre les autres, mais surtout pas contre la bourgeoisie.

Ce serait d'ailleurs une erreur tragique de croire que l'oppression que l'État israélien fait peser sur les Palestiniens pourrait être combattue en s'alliant avec l'extrême droite sur la base d'un antisionisme qui, dans le cas de Dieudonné, est en fait de l'antisémitisme. Vouloir se venger d'une oppression raciste – même si l'on est issu de l'immigration et que l'on subit soi-même le racisme – en s'en prenant à une autre minorité, c'est contribuer à renforcer l'extrême droite. C'est prendre le risque de s'en faire, volontairement ou pas, les complices, et plus tard les victimes.

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