Editorial

Nos exploiteurs ont le sang des ouvrières du Bangladesh sur les mains

1 126 morts, plus d'un millier de blessés et des dizaines de disparus : c'est le dernier bilan de l'effondrement de l'immeuble de confection survenu le 24 avril dans la banlieue de Dacca, au Bangladesh. Le simple fait que les patrons soient incapables de dire, trois semaines après la catastrophe, combien d'ouvrières manquent à l'appel, montre qu'elles ne sont pour eux que de la chair à exploiter.

Les bagnes industriels du XXIe siècle n'ont rien à envier aux bagnes d'il y a deux siècles. On y retrouve le travail des enfants, la surexploitation, les ateliers qui se transforment en pièges mortels pour les ouvriers et les salaires de famine. Car un salaire ouvrier équivalant à 30 euros par mois ne suffit pas à nourrir une famille, même au Bangladesh !

La veille même du drame, les ouvrières, découvrant l'ampleur des fissures, avaient dit leur refus de revenir travailler : les patrons les y avaient forcées et, une heure après la prise d'équipe, l'immeuble s'écroulait.

Le lendemain, il a fallu des manifestations de centaines de milliers d'ouvriers pour que le travail n'y reprenne pas comme si rien ne s'était passé et pour que les patrons acceptent de fermer leurs usines durant le week-end et de payer les travailleurs. Et les rescapés ne sont pas au bout de leur calvaire : beaucoup n'ont pas touché de salaire depuis la catastrophe, ils ont dû se débrouiller pour payer des frais médicaux dont ils ne savent même pas s'ils leur seront remboursés.

C'est l'exploitation nue, criminelle et... banale, comme on la retrouve dans la plupart des pays pauvres, au Pakistan, au Cambodge, en Côte d'Ivoire, en Haïti. Mais ce n'est pas qu'une affaire de pays pauvres, de gouvernements corrompus et de patrons particulièrement immondes. C'est notre affaire à tous.

Car si les assassins – le propriétaire de l'immeuble et les patrons qui ont refusé d'évacuer leur usine – sont au Bangladesh, les commanditaires sont ici. Ils ont pour nom Benetton, Casino, H&M, Primark, Wal-Mart, Mango, Tex... Ils poussent consciemment au crime en demandant des prix toujours plus bas.

Ils savent que les marges bénéficiaires qu'ils obtiennent se feront au travers de la surexploitation de travailleurs, grâce au sous-traitant qui sous-traitera encore à plus esclavagiste que lui. Ils n'y sont pour rien, disent-ils, mais ils encaissent bien l'argent ! Du commanditaire au fabricant, il y a une seule et même chaîne meurtrière.

Et c'est du pur cynisme que de chercher à culpabiliser ceux qui achètent un tee-shirt à 3 euros plutôt qu'à 10. Qui impose, ici, les petits salaires et les petites retraites qui forcent à compter ce que l'on dépense à l'euro près ? Qui décide d'aller exploiter la misère du monde à son profit ? Le même grand patronat ! C'est lui qui a du sang sur les mains.

Les grands actionnaires des multinationales cherchent à gagner sur les deux tableaux, en exploitant les travailleurs là-bas et ici. L'exploitation barbare et criminelle des travailleurs des pays pauvres et les ravages de la finance, du chômage et de la misère dans les pays dits développés sont les deux faces du même système d'exploitation.

Les exploités d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique latine ne sont pas des « concurrents déloyaux » et encore moins des ennemis, ce sont nos frères d'exploitation. Des frères d'exploitation forcés bien souvent de quitter leur pays de misère pour s'embaucher ici, sur d'autres chaînes de montage. Le même sort nous lie car nous sommes tous des exploités, victimes des mêmes exploiteurs.

Dans un pays comme le Bangladesh, il y a, rien que dans le textile, 4 à 5 millions d'ouvriers. Les pires bagnes capitalistes se sont déplacés de Lyon, Manchester et Chicago vers Shanghaï, Dacca ou Bombay, mais la réalité, c'est que la classe ouvrière n'a jamais été aussi nombreuse. Et aujourd'hui comme hier, c'est elle qui fait tourner la société.

Au Bangladesh, depuis le drame du 24 avril, des manifestations monstres ont forcé le patronat à s'engager sur des augmentations de salaire et sur la sécurité des ateliers, mais cela fait des années que les travailleurs luttent. Les grèves ouvrières, les affrontements avec la police se multiplient au même rythme que les ateliers de confection. Leur combat pour demander des comptes aux exploiteurs et aux affameurs qui ont pignon sur rue ne fait que commencer.

Les ouvriers des pays pauvres sont, à bien des égards, les damnés du capitalisme, mais ils ne le resteront pas toujours. Ils forment aussi des cohortes de millions de femmes et d'hommes capables de se soulever et de se révolter : leur révolte est la nôtre, leur combat est le nôtre.

Éditorial des bulletins d'entreprises du 13 mai

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