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Centrafrique : Le coup d'État contre Bozizé – d'une dictature à une autre

Dimanche 24 mars en Centrafrique, les rebelles de la coalition Séléka se sont emparé de la capitale Bangui, renversant le président Bozizé qui a dû se réfugier au Cameroun. Leur chef, Michel Djotodia, s'est proclamé président à sa place. L'armée centrafricaine n'a opposé aucune résistance et ses soldats se sont promptement débarrassé de leurs uniformes pour se transformer en pillards.

Seuls quelques militaires sud-africains, que Bozizé avait appelés à la rescousse en janvier dernier alors que ses autres alliés commençaient à le lâcher, se sont fait tuer pour le défendre. Les troupes de la CEAC (Communauté économique des États d'Afrique centrale), Tchadiens, Congolais, Gabonais, censées arrêter les rebelles, n'ont pas bougé. Quant à la France, qui prétend ne pas s'impliquer dans la crise, elle a quand même envoyé 350 soldats en plus des 250 déjà présents. Ils sont censés protéger l'aéroport, où leur premier fait d'armes a été de tuer deux ressortissants indiens et d'en blesser d'autres, ainsi que des Tchadiens qui s'approchaient un peu trop vite à leur gré.

Au pouvoir depuis dix ans, Bozizé avait mis le pays en coupe réglée, tout comme ses prédécesseurs Bokassa, Kolingba ou Patassé. Il avait placé son clan à tous les postes lucratifs, détournant à son profit les maigres ressources du pays. Routes, système de santé, éducation, toutes les infrastructures ont été laissées à l'abandon. L'espérance de vie a diminué d'année en année. L'armée elle-même n'avait plus aucune cohésion, et Bozizé comptait surtout pour le protéger sur sa garde rapprochée composée de Tchadiens. Le nord-est du pays d'où est partie la rébellion, aux frontières du Tchad, du Soudan et du Soudan du Sud, était devenu une zone de tous les dangers, en proie aux razzias des groupes armés se déplaçant d'un pays à l'autre.

Ce régime pourri a été mis en place et longtemps tenu à bout de bras par la France et son principal allié régional, le Tchad. Ce soutien était lui aussi dans la continuité de ce qu'avait été la politique de la France envers les chefs d'État précédents, soutenant des régimes plus corrompus les uns que les autres, jusqu'au moment où elle finissait par les lâcher. En 2003, c'est avec l'aide de 500 soldats tchadiens que Bozizé s'était emparé du pouvoir. En 2006, les parachutistes et les Mirage français avaient stoppé une première rébellion. En 2010, face à une nouvelle offensive rebelle, Bozizé n'avait dû son salut qu'à l'intervention des troupes tchadiennes. Ancienne colonie française, la Centrafrique a toujours été dans l'orbite de la France, et Paris tient à l'y conserver, même si l'exploitation des ressources de son sous-sol, diamant, or ou uranium, est aujourd'hui bien réduite.

En décembre dernier encore, lorsqu'avait commencé l'offensive de la Séléka, ce sont les Tchadiens qui avaient arrêté les rebelles à 70 km de Bangui, après la débandade de l'armée centrafricaine. Sous la pression des États africains et de la France, Bozizé avait dû négocier un partage du pouvoir avec la Séléka et les partis d'opposition, et signer à Libreville au Gabon un accord en ce sens. Mais, à peine rentré à Bangui, il avait balayé cet échafaudage diplomatique et manœuvré pour garder tous les pouvoirs. Cet aveuglement sur le véritable rapport de force semble avoir incité la France, et derrière elle le Tchad, à ne pas lui sauver la mise une fois de plus.

Aujourd'hui, le nouveau président prétend vouloir respecter les accords de Libreville, sans doute pour se concilier les puissances tutélaires. Cela ne signifie pas pour autant que le nouveau pouvoir soit très différent du précédent. La Séléka est une alliance disparate d'anciens militaires, de politiciens ayant en leur temps accédé à la mangeoire gouvernementale et de seigneurs de la guerre. Ces derniers font de toute façon ce qu'ils veulent dans leur zone. Dans les régions que contrôlait la Séléka avant d'entrer à Bangui, les exactions se sont multipliées et une partie de la population a préféré s'enfuir dans la brousse, loin des villages occupés

Le gouvernement français peut éventuellement se satisfaire de ce changement si les nouveaux dirigeants du pays se montrent accommodants, l'important pour lui étant d'avoir à Bangui un régime qui protège les intérêts des grandes sociétés françaises. Mais la population de Centrafrique, elle, risque de ne pas voir grande différence entre les nouveaux maîtres et ceux dont ils ont pris la place.

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