Dans le monde

Allemagne : Dix ans après la réforme Schröder, la réalité du « modèle allemand »

À l'occasion des dix ans des lois Hartz IV, hommes politiques et journalistes ont entonné leur couplet habituel sur le modèle allemand. En Allemagne aussi, l'ancien chancelier social-démocrate (SPD) Gerhard Schröder s'est répandu dans les médias pour vanter le succès de sa politique des années 2000, connue sous le nom de Agenda 2010, qui contenait en particulier les lois Hartz. Des dirigeants politiques de son camp, donc prétendument de gauche, et aussi ceux de la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel, se sont joints au concert de louanges. Cette unanimité est évidemment suspecte, et cela vaut la peine d'aller y voir d'un peu plus près.

À cette époque, l'intérim était beaucoup moins répandu en Allemagne qu'en France, et très encadré par la loi. Une première mesure du gouvernement Schröder, contenue dans les lois Hartz I, fut de déréguler le travail temporaire et l'intérim. À cette étape, pratiquement personne dans la population ne prévoyait les conséquences néfastes que cela aurait, mais patronat et gouvernement, eux, avaient conçu tout un plan d'attaques.

Suivirent Hartz II et III, qui allaient dans le même sens. Ensuite, il ne resta plus qu'à forcer un maximum d'ouvriers à prendre le chemin des agences d'intérim : les lois Hartz IV jouèrent ce rôle. La durée d'indemnisation du chômage tomba à douze mois. Désormais, après un an de chômage, un salarié licencié se retrouvait directement avec Hartz IV, soit avec 374 euros par mois. Depuis, pour la population, le mot Hartz IV signifie la menace permanente de plonger dans la pauvreté.

Un chômeur est aujourd'hui obligé d'accepter n'importe quel emploi, dans n'importe quelles conditions, y compris à un niveau de qualification et pour un salaire largement inférieurs à ce qu'il avait. Comme le gouvernement le fait ici pour justifier ses attaques, le prétexte de ces lois était, en période de chômage massif et de licenciements, « d'inciter » les chômeurs à travailler. Pour cela, les entreprises obtinrent le droit de licencier plus facilement. L'une des conséquences ? Bien des travailleurs licenciés sont aussitôt réembauchés dans la même entreprise via une société d'intérim, parfois au même poste de travail, mais en étant payés bien moins, jusqu'à la moitié du salaire antérieur. Car un chômeur ne peut refuser un emploi sous peine de perdre toute aide.

Les lois Hartz ont aussi introduit, dans l'un des pays les plus riches du monde, les « mini-jobs », contrats à temps partiel exonérés de cotisations sociales jusqu'à 400 euros par mois. Avec ces mini-jobs, nombre de travailleurs touchent encore moins que cela : 200 ou 300 euros de salaire. Ils reçoivent alors un complément pour arriver au maigre niveau de Hartz IV. Ces travailleurs pauvres préparent des générations de retraités dans la misère, car avec un mini-job on ne cotise pas non plus pour la retraite.

Sur le papier, le chômage a reculé, mais la misère a gagné le pays. L'intérim, la précarité, les temps partiels imposés, qui n'existaient guère avant, se sont répandus comme une épidémie, avec des salaires bas, voire très bas. Aujourd'hui, plus de trois millions de travailleurs qui ont un emploi vivent sous le seuil de pauvreté. Pour les chômeurs, la pauvreté est généralisée. D'après Eurostat, un institut de statistiques européen, 70 % des chômeurs allemands sont « en risque de pauvreté » contre 33,1 % en France.

En 2003, pour justifier son projet, Schröder déclarait au Bundestag qu'il fallait « exiger davantage d'efforts de la part de chacun ». Mais, dans le même temps, le chancelier abaissait les taux d'imposition des entreprises, et aussi des personnes les plus riches, de 51 % à 42 %. Les inégalités se sont ainsi énormément accrues. Pendant que les pauvres devenaient plus nombreux, les riches se sont enrichis.

Les lois Hartz IV ont suscité un vrai dégoût dans les classes populaires, beaucoup se sont détournés alors du SPD et de ce chancelier ami des patrons, ce qui lui a coûté sa réélection. Qu'à cela ne tienne. Battu aux élections de 2005, il a immédiatement rejoint les affaires dans des conditions douteuses, devenant dirigeant d'une filiale du géant gazier russe Gazprom. Quant à Peter Hartz, l'ancien DRH de Volkswagen qui avait élaboré le projet, il fut condamné pour corruption en 2006.

Voilà le modèle allemand tant vanté, un modèle qui appauvrit la population, qui présente toujours les pauvres comme des voleurs, qui imaginent et impose de tout contrôler chez les allocataires de Hartz IV, depuis l'état de leur voiture jusqu'au nombre de brosses à dents dans la salle de bains, pour les priver même de leur maigre allocation si jamais on découvrait qu'un proche leur apporte un peu d'aide...

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