Eurocopter -- Marignane (Bouche-du-Rhône) : Technique moderne et méthodes séculaires14/03/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/03/une2328.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Eurocopter -- Marignane (Bouche-du-Rhône) : Technique moderne et méthodes séculaires

L'hélicoptère de combat, le NH90, construit en matériaux composites ultra légers, embarquant tout ce que la technologie a de plus sophistiqué, se fabrique avec des méthodes d'exploitation dignes du XIXe siècle.

Cette chaîne de l'hélicoptère NH 90 a été lancée il y a une dizaine d'années. C'est un appareil exclusivement militaire. Chaque État client commande sa propre version en fonction de ses propres besoins. Son prix varie autour de 33 millions d'euros et, pour ce qui concerne l'État français, sa commande totale représente presque huit milliards d'euros.

Pour lancer le programme NH 90 qui représentait de gros investissements industriels, différents constructeurs aéronautiques pourtant en principe concurrents se sont unis dans le consortium NHIndustrie, apportant, via leur État respectif, les fonds nécessaires. Il se fabrique en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Finlande et enfin en Australie.

En quelques années seulement, le rythme de travail pour produire le NH90 s'est accru considérablement. En plus de la généralisation des 2x8, la rationalisation de la production a pris l'allure d'une chasse aux temps morts, aux espaces vides et aux temps d'approvisionnement des pièces. L'accord SAFE, révisant la gestion du temps de travail, a permis à la direction d'augmenter pressions et intimidations sur le personnel. La chasse aux pauses aléatoires a été ouverte, secondée par la chasse aux discussions entre les ouvriers. Désormais, faire le guet, à l'affût des rondes des chefs pendant qu'on discute, est devenu indispensable. Aller chercher une canette en dehors des pauses est mal vu, aller chercher une documentation, procédure nécessaire et indispensable, auprès des préparateurs est formellement interdit.

Ainsi, pour la direction, l'ouvrier devrait rester rivé à son poste de travail, ne parler à personne d'autre qu'à son chef et uniquement s'il a des problèmes liés à son travail. Il ne doit pas avoir d'envies pressantes, ni soif, ni chaud, ni froid... Et s'il doit quitter son poste pour aller aux toilettes, il doit en informer sa hiérarchie.

Pour appliquer un vernis de modernité sur ces méthodes d'exploitation archaïques, on s'est mis à tout traduire en anglais. Les objectifs sont devenus des « targets » sur des graphiques présentés aux clients. Assurer le « ramp up » (augmentation de la production) signifie en clair qu'il faut relever les manches et faire mieux que l'année passée. Cela veut dire que la production a été pendant quelques années de six appareils par an, puis en 2011 d'un appareil par mois, en 2012 de presque deux par mois et que l'objectif 2013 est de deux appareils par mois. Le nombre d'ouvriers, lui, n'a pas progressé en conséquence et surtout le recours aux intérimaires est devenu une règle. Actuellement ils sont près de 30 % des salariés du secteur, à qui on fait miroiter une embauche peu probable.

Enfin, pour rendre chacun responsable des retards de production, la direction a inventé l'auto-chronométrage. Cela passe d'abord par l'enregistrement informatique du début et de la fin des phases de travail. Mais, comme cela ne donnerait pas assez d'explication sur les temps perdus, la direction veut à présent connaître la raison de la différence entre le temps de production théorique et le temps réel passé à produire. Pour cela, chaque ouvrier doit dire à quelle heure il commence, à quelle heure il est stoppé et pourquoi, à quelle heure il reprend, et ainsi de suite. La direction explique bien sûr que ce n'est en rien du chronométrage en vue d'augmenter les cadences, mais plutôt l'inverse, c'est-à-dire faire coller les temps théoriques au plus près de la réalité.

Mais, théoriquement et pratiquement, comment passer à deux appareils par mois sans augmenter considérablement les cadences ? Il y a certainement là l'opération du Saint-Esprit, mais seul le prochain pape pourra le dire.

Partager