29 octobre 1922, la Marche sur Rome de Mussolini - : Le mouvement ouvrier écrasé par le fascisme07/11/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/11/une2310.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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29 octobre 1922, la Marche sur Rome de Mussolini - : Le mouvement ouvrier écrasé par le fascisme

Le 29 octobre 1922, il y a 90 ans, Mussolini accédait au pouvoir au terme de la Marche sur Rome. Ses troupes fascistes, les Chemises noires, avaient commencé à converger vers la capitale italienne la veille. Il voulait donner l'allure d'une révolution à ce qui ne fut à ce moment qu'un changement de gouvernement dans les règles constitutionnelles, mais qui allait installer pour plus de vingt ans la dictature fasciste.

Face à la convergence des troupes de Mussolini le 28 octobre, l'état de siège fut d'abord proclamé par le gouvernement, puis levé le jour même, le roi Victor-Emmanuel III ayant refusé de signer le décret le proclamant. Dès le lendemain, le roi proposa à Mussolini de prendre la tête du gouvernement. Les Chemises noires poursuivirent malgré tout leur marche, sans rencontrer aucune résistance, et entrèrent dans la capitale le 30 octobre, avec Mussolini à leur tête. Mais cette arrivée théâtrale au pouvoir ne faisait que confirmer les résultats d'un combat qui s'était livré bien avant dans tout le pays, au cours duquel les hommes de main de Mussolini, avec la complicité de l'appareil d'État, avaient écrasé les organisations du mouvement ouvrier.

Le mouvement révolutionnaire trahi

Au sortir de la Première Guerre mondiale, en 1919 et 1920, l'Italie, comme bien d'autres pays d'Europe, avait été touchée par une vague révolutionnaire, à l'exemple de la révolution russe de 1917. Au cours de ces deux années rouges, le Biennio Rosso, la classe ouvrière avait occupé les usines et la paysannerie les terres. Le prolétariat italien était alors organisé massivement au sein du Parti socialiste italien, le PSI, et au sein de syndicats puissants. Mais les dirigeants réformistes de ce Parti socialiste et les chefs syndicaux de la Confédération générale du travail (CGL) ne voulaient pas de la révolution. « La dictature du prolétariat était une réalité, il fallait seulement l'organiser et en tirer toutes les conclusions. La social-démocratie prit peur et fit marche arrière. Après des efforts audacieux et héroïques, le prolétariat se retrouva devant le vide. L'effondrement du mouvement révolutionnaire fut la condition préalable la plus importante de la croissance du fascisme », écrivit plus tard Trotsky.

Le fascisme mobilisé contre les organisations ouvrières

La bourgeoisie, qui avait tremblé durant les années révolutionnaires, passa vite à la contre-offensive une fois le danger révolutionnaire écarté. Il lui fallait supprimer à l'avenir tout risque de voir une telle situation se reproduire, et pour cela écraser le mouvement ouvrier. Le mouvement fasciste de Mussolini lui en offrit la possibilité. Aussi, quand celui-ci créa ses bandes fascistes, elle les finança et les arma.

Mussolini, après avoir été un militant socialiste, se révéla surtout un aventurier à la recherche d'une opportunité politique pour lui-même. La crise économique, touchant de plein fouet une petite bourgeoise aigrie et désespérée, la lui fournit. Il reprit le nom de « faisceaux » (fasci) des comités révolutionnaires siciliens du siècle précédent et embrigada dans ses « faisceaux de combat » des petits bourgeois ruinés, des nationalistes désoeuvrés, encadrés par d'anciens officiers disposant de complicités dans l'armée ou la police, tous unis dans la même haine des « rouges », pour faire le coup de poing contre le Parti socialiste et les syndicats et jouer les briseurs de grève.

Tant que le prolétariat italien était à l'offensive, ces bandes n'eurent qu'une influence toute relative. Mais le reflux des luttes, après septembre 1920, leur laissa le champ libre. Dès lors les commandos fascistes se mirent à organiser systématiquement leurs expéditions punitives. Plusieurs centaines, voire des milliers de militants fascistes concentraient leurs forces sur une localité, saccageaient les sièges des partis et des syndicats ouvriers, détruisaient les rédactions des journaux de gauche, incendiaient les Bourses du travail. Ils poussaient à la démission les municipalités socialistes. Ils passaient à tabac les militants qui tentaient de s'opposer ou bien leur administraient une purge à l'huile de ricin, ou tout simplement les assassinaient.

La lâcheté des dirigeants réformistes

Face à cela, le Parti socialiste, paralysé par son propre réformisme, ne fit que conseiller la patience face aux agressions fascistes et la confiance dans la protection des institutions bourgeoises, au moment même où police, armée et tribunaux se montraient les complices directs des Chemises noires de Mussolini. Au fond, celles-ci ne représentaient pas une grande force et jouaient surtout de leur mobilité et de leur centralisation. Mais face à elles, les dirigeants du Parti socialiste et des syndicats n'essayèrent pas de coordonner les forces des militants qui tentaient de résister, paralysant d'avance toute riposte des travailleurs. Il est vrai qu'organiser celle-ci à l'échelle du pays aurait impliqué une mobilisation révolutionnaire du prolétariat, ce que les dirigeants réformistes voulaient éviter à tout prix.

« Craignant la mobilisation révolutionnaire des ouvriers, les réformistes italiens mettaient tous leurs espoirs dans l'État. (...) Leur mot d'ordre était : "Victor Emmanuel, interviens !" », écrivit Trotsky dix ans plus tard. Le principal dirigeant réformiste, Turati, synthétisa sa politique en déclarant aux militants que, face à l'offensive fasciste, il fallait « avoir le courage d'être un lâche », ajoutant, pour répondre à leurs questions angoissées, qu'il fallait supporter en silence les violences et surtout ne pas leur répondre.

Quant au tout jeune Parti communiste, né en janvier 1921 d'une scission au sein du Parti socialiste, lors du congrès de Livourne, minoritaire et inexpérimenté, il eut tendance à sous-estimer le danger du fascisme. La situation ne lui laissa pas le temps de surmonter ses erreurs et sa faiblesse.

De la trahison de la révolution à la dictature et à la guerre

Il fallut attendre août 1922 pour voir les dirigeants du mouvement ouvrier appeler, bien tard, à une grève générale de riposte. Ce fut un échec et les fascistes purent saisir l'occasion d'affirmer leur force, à l'exception notable de la ville de Parme, qui sut organiser la résistance et les chasser, montrant ce qu'il aurait été possible de faire à l'échelle du pays. Mais, dès lors, la voie du gouvernement était ouverte à Mussolini.

Une fois Mussolini au pouvoir, fin octobre 1922, la dictature se mit en place, de façon progressive toutefois. Jusqu'en 1925, des possibilités de riposte allaient encore exister. Puis le nouveau pouvoir montra toute son efficacité pour museler la classe ouvrière. Ses organisations furent interdites, les militants ouvriers arrêtés et envoyés en prison ou en déportation. Dans les usines, le patronat put s'attaquer aux travailleurs, les embrigader dans les syndicats fascistes, imposer des salaires diminués de 40 à 50 % sans plus craindre de réaction. La prétendue « révolution fasciste » et la renaissance nationale au nom d'une mythologie reprise à la Rome impériale n'allaient être que la dictature la plus crue du grand capital et de sa soif de profits. Elle allait ensuite lancer l'armée italienne dans de nouvelles guerres coloniales, en Éthiopie et en Libye, qui seraient le prologue d'une nouvelle catastrophe pour tous les prolétaires d'Italie et d'ailleurs : la Deuxième Guerre mondiale.

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