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Tanzanie : La mort d'un ancien Black Panther américain

« Geronimo » Pratt est mort le 3 juin dernier, en Tanzanie à l'âge de 63 ans. « Geronimo » était le pseudonyme qu'Elmer Pratt avait reçu en rejoignant les Black Panthers, un mouvement né en 1966 en Californie lors de la radicalisation des Noirs américains et dont il fut l'un des militants responsables.

Né à Oakland dans la région de la baie de San Francisco, le parti des Black Panthers, influencé par les idées de Malcolm X, assassiné en 1965, avait choisi ce nom parce que la panthère noire, « si on l'attaque, ne recule pas ». Son programme en dix points exigeait le plein emploi, la fin de l'exploitation capitaliste, des logements décents, une éducation qui prenne en compte l'histoire des Noirs, l'exemption du service militaire, la fin des brutalités policières et de l'assassinat des personnalités noires, la libération des détenus noirs et des jurys noirs pour juger les Noirs.

Le parti lança des dispensaires, des cliniques gratuites et distribua de la nourriture, notamment des « petits déjeuners gratuits pour les enfants » très populaires. Il offrait bien d'autres services : distribution de vêtements, cours divers, leçons d'autodéfense et de secourisme, transports vers les prisons des familles des détenus, ambulances de soins d'urgence, et militait contre l'alcoolisme et la toxicomanie.

En mettant sur pied des patrouilles armées pour contrecarrer les exactions de la police contre les Noirs, les Black Panthers déclenchèrent la réaction de l'État américain. La note d'Edgar Hoover, le patron du FBI, datée du 25 mars 1968, était explicite : le programme de contre-espionnage appelé Cointelpro, utilisé contre les opposants à la guerre du Viêt-Nam, devait désormais « faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s'ils succombent à l'enseignement révolutionnaire, ils deviendraient des révolutionnaires morts ». Une note du 3 avril expliquait : « Ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste, un employé ou un ouvrier, plutôt qu'un Noir qui ne pense qu'à détruire l'establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ? » Le 8 septembre, Hoover qualifiait les Panthers de « menace la plus sérieuse à la sécurité interne du pays ».

Aux techniques classiques de répression (filatures, écoutes téléphoniques, lettres anonymes, agents doubles, provocations diverses), le FBI ajouta l'assassinat. Trente-huit militants furent tués lors de raids organisés par la police contre les locaux des Black Panthers. Le 4 décembre 1969, un de ses dirigeants, Fred Hampton, fut exécuté dans son lit. Trente membres des Black Panthers risquaient alors la peine de mort ; quarante la prison à perpétuité ; cinquante-cinq des peines de prison allant jusqu'à trente ans ; et 155 autres étaient incarcérés ou recherchés.

Les poursuites étaient engagées comme si les organisations militantes étaient des « associations de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes », y compris quand le dossier était vide, comme celui de 21 militants poursuivis à ce titre et tous acquittés, faute de preuves, en mai 1971.

Geronimo Pratt fut l'une des victimes de cet acharnement de l'État américain, prêt à tout pour empêcher l'embrasement de toute la communauté noire et qui entendait frapper les Panthères noires à la tête. Militant influent, il fut jugé, condamné pour un meurtre qu'il n'avait pas commis et passa 27 ans en prison. Il fallut une intense bataille juridique pour le libérer. L'accusation reposait sur le témoignage d'un membre des Panthères qui était aussi un indicateur du FBI, une précision masquée lors du procès.

La décision de sa libération admettant la machination du FBI, Pratt obtint 4,5 millions de dollars de dédommagement pour les 27 ans de vie que l'État lui avait volés et partit vivre en Tanzanie où il participait à des activités humanitaires.

À sa sortie de prison, Geronimo Pratt résumait ainsi son itinéraire : « Je suis né sous la ségrégation. Il fallait faire face à la terreur du Klu Klux Klan et à toutes les formes d'ignorance qui frappaient notre peuple. Cela m'a donné une sorte de fierté, l'idée que nous pouvons nous diriger nous-mêmes et protéger les nôtres. J'ai été sélectionné pour avoir un entraînement destiné à cette tâche. Mais presque aussitôt, j'ai été envoyé au Viêt-Nam, où j'ai survécu. Quand je suis rentré, Malcolm X venait d'être assassiné. Et on se disait alors : « Il faut faire quelque chose ». Nous étions un groupe de jeunes et nous avons continué d'agir pour notre peuple dans la mesure de nos moyens. » Il ajoutait, sans amertume, qu'il entendait aider les camarades encore en prison, comme Mumia Abu-Jamal par exemple. Et, ne serait-ce que sur ce plan, son combat n'est pas terminé.

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