Leur société

1940-1944 : 48 000 morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques : L'horreur d'une époque, l'horreur d'une société

Le 7 avril dernier avait lieu à Clermont de l'Oise une commémoration, qui ne se déroule que depuis 1999, sur les malades morts de faim entre 1940 et 1944 dans ce qui était alors le plus grand hôpital psychiatrique de France et d'Europe : 3 067 personnes y sont décédées de malnutrition pendant ces quatre années de guerre.

Ce drame a touché la quasi-totalité des hôpitaux psychiatriques pendant la même période. Ainsi dans l'autre grand hôpital du pays, celui du Vinatier à Lyon, il y eut 2 000 malades décédés de sous-alimentation. Au total on estime aujourd'hui que, sur les 76 000 morts enregistrés dans les hôpitaux psychiatriques du pays pendant cette période, 48 000 sont morts de faim.

Tout le pays, pendant cette période de guerre, était soumis aux restrictions, en particulier les plus pauvres et les plus faibles. Mais si beaucoup en furent alors victimes, le sort réservé aux malades mentaux provoque encore aujourd'hui le dégoût et l'indignation.

Dans le cadre de la pénurie et du rationnement imposés à toute la population, le gouvernement français édicta dès 1940 des règles particulières pour les 120 000 internés psychiatriques de l'époque. Ces règles fixaient une alimentation calculée en calories et une nourriture allouée à chaque malade qui ne pouvait qu'entraîner la mort à plus ou moins brève échéance pour une grande part d'entre eux. Le gouvernement en était tellement conscient qu'il édictait dans le même temps des quotas d'alimentation destinés aux malades des autres hôpitaux, bien supérieurs, eux, à ceux des hôpitaux psychiatriques. Sans dire que la situation des malades des autres hôpitaux était enviable, ils ne connurent pas une telle explosion de la mortalité pendant ces quatre années.

Qu'il se soit agi là d'une politique consciente, c'est ce qu'atteste aussi un document retrouvé dans les archives départementales de l'Isère, adressé par la préfecture à l'administration d'un hôpital psychiatrique et qui déclarait : « Dites à vos médecins de sélectionner les patients récupérables - c'est-à-dire qui pourront retravailler assez rapidement - des patients irrécupérables, et ne nourrissez correctement que les premiers. »

Au même moment une extermination organisée avait lieu en Allemagne à partir de 1941. S'ajoutant à l'extermination des Juifs et des Tsiganes, 175 000 malades mentaux, handicapés de toute nature, furent conduits vers les chambres à gaz et assassinés, car considérés comme des parasites nuisibles à la société. En France, le mépris vis-à-vis des plus faibles était bien présent, que ce soit au sein de l'administration allemande ou au sein de l'appareil d'État de Vichy.

Le médecin hospitalier Alexis Carrel, un des théoriciens attitrés de l'extrême droite, qui avait préconisé dès 1935 l'élimination physique des malades mentaux (et aussi des indigents) pour raffermir la société, était l'autorité de référence dans le domaine de l'« éthique » médicale du régime de Vichy. Ce qui ne l'a pas empêché le moins du monde de continuer sa brillante carrière après 1945 et de voir son nom choisi pour une des facultés de médecine de Lyon, jusqu'en... 2000.

Le vernis d'humanité qui recouvre le monde capitaliste est bien mince et fragile, et il se déchire vite, en particulier en temps de crise et de guerre.

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