Il y a 40 ans - Avril 1971,Le Manifeste des 343 : La pression de la lutte des femmes pour le droit à l'avortement06/04/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/04/une-2227.gif.445x577_q85_box-0%2C12%2C167%2C228_crop_detail.png

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Il y a 40 ans - Avril 1971,Le Manifeste des 343 : La pression de la lutte des femmes pour le droit à l'avortement

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »

C'était dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971. Suivaient les signatures de 343 femmes, connues pour la plupart mais d'autres pas. En affirmant haut et fort qu'elles avaient avorté, ces femmes mettaient au défi les autorités de les condamner. Car avorter était alors un délit passible des tribunaux, les femmes ne disposant toujours pas du droit d'interrompre une grossesse non désirée. C'est la semaine suivante qu'elles devinrent les « 343 salopes ». À la une de Charlie-Hebdo, un dessin de Cabu posait la question « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement ? » et faisait dire à Michel Debré « C'était pour la France ! » Une caricature humoristique pour ridiculiser un baron du gaullisme connu pour ses positions natalistes, mais bien teintée de machisme, fût-ce au second degré.

UNE LEGISLATION BARBARE PROMULGUEE PAR DES VA-T-EN-GUERRE

En 1971, l'avortement tombait toujours sous le coup de la loi de 1920, datant de cette époque d'après la boucherie de 1914-1918 où on exhortait les femmes à « repeupler la France ». Cette loi exposait à des peines d'emprisonnement « quiconque aura provoqué au crime d'avortement alors même que cette provocation n'aura pas été suivie d'effet » et même « la propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité ». Et, disait la loi, si l'avortement était « consommé », c'est l'article 317 du Code pénal de 1810 qui s'appliquait : de lourdes peines de prison pour celle qui avortait et pour celui ou celle qui lui avait procuré les moyens de le faire, et les travaux forcés s'il s'agissait de médecins ou personnels de santé. L'avortement était un crime. En 1942, il devint même un crime contre la sûreté de l'État et donc passible de la peine de mort. C'est ainsi qu'en juillet 1943 Marie-Louise Giraud, une blanchisseuse, fut guillotinée, accusée d'avoir aidé vingt-trois femmes à mettre fin à leur grossesse non désirée.

Après-guerre, la loi de 1942 fut abrogée mais pas celle de 1920. En 1971, lors de la publication du Manifeste des 343, elle était toujours en vigueur.

C'était une législation barbare mais aussi hypocrite. Chaque année, des centaines de milliers de femmes (plus de cinq cent mille) avortaient. Et tout le monde le savait. Celles qui avaient des relations et les moyens financiers qui vont souvent avec pouvaient le faire dans de bonnes conditions, sur place ou en se rendant à l'étranger. Les autres utilisaient tout ce qui pouvait être utilisé pour décrocher l'embryon, clandestinement, dans des conditions sanitaires le plus souvent déplorables. Des centaines en mourraient. Des milliers en restaient mutilées.

LES LUTTES DES FEMMES POUR LE DROIT A L'IVG

C'est en 1956 que fut fondée, à l'initiative d'une femme médecin, l'association qui allait devenir quatre ans plus tard le Mouvement français pour le planning familial, une association théoriquement illégale puisque toute information sur le contrôle des naissances et les moyens anticonceptionnels était alors interdite par la loi. Seul le préservatif échappait alors à cette illégalité car il était considéré non pas comme un moyen contraceptif mais comme un moyen... de prévention contre les infections sexuellement transmissibles !

En 1967, l'accès à la contraception se libéralisa un peu avec la loi Neuwirth qui autorisait la fabrication des pilules contraceptives et leur vente en pharmacie, mais interdisait cependant toute publicité et toute information à son sujet et demandait une autorisation parentale aux mineures (mais on était alors mineur jusqu'à 21 ans). La résistance de certains restait farouche. Ainsi, pendant la discussion de cette loi Neuwirth à l'Assemblée, un député de droite, mâle bien sûr, déclarait à propos de la pilule : « Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu'un objet de volupté stérile. »

Mai 1968 donna une nouvelle impulsion à la lutte des femmes. Et, en 1971, après le Manifeste de 343 d'entre elles qui affirmaient avoir eu recours à l'avortement, la justice n'osa pas les attaquer. Les femmes faisaient ainsi la démonstration que la loi de 1920 était caduque.

En novembre 1972 eut lieu le procès de Bobigny. Marie-Claire, 16 ans, enceinte à la suite d'un viol, comparaissait devant le tribunal pour avoir avorté, et sa mère était jugée pour complicité. L'avocate Gisèle Halimi les défendait toutes les deux. Marie-Claire eut le courage d'affirmer qu'elle avait décidé, seule, de ne pas mettre au monde cet enfant. Sa mère eut celui de dire aux hommes du tribunal que ce choix relevait du seul droit des femmes. Elles furent relaxées. Les tribunaux devaient reconnaître l'incohérence de cette loi devenue inappliquée et inapplicable.

En février 1973, 331 médecins lançèrent à la barbe de leur Ordre un manifeste dans lequel ils déclaraient avoir pratiqué des avortements. Et puis, il y eut la création du MLAC, le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception qui, avec le Planning familial, pratiquèrent au vu et au su de tous des avortements et organisèrent des départs collectifs vers l'Angleterre et les Pays-Bas, où des dizaines de milliers de femmes purent aller avorter.

C'est finalement la loi Veil qui, en 1975, accorda aux femmes le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), le droit de mettre fin à une grossesse non désirée sans risquer d'y laisser leur peau ou leur santé. Il faut reconnaître à Simone Veil, alors ministre de la Santé, le courage d'avoir affronté à l'Assemblée nationale les pires vilenies réactionnaires prononcées contre la liberté des femmes par des hommes de son propre camp politique. Mais c'est bien la lutte des femmes, y compris celle des 343 signataires de la déclaration du 5 avril, décidant d'affronter directement la loi, qui a imposé leur droit à disposer librement de leur corps.

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