Garde à vue : Réforme à double tiroir15/09/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/09/une2198.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Garde à vue : Réforme à double tiroir

Un projet de réforme de la garde à vue a été rendu public le 7 septembre par Michèle Alliot-Marie, ministre de Justice. Il fait suite aux critiques du Conseil constitutionnel et a été présenté comme une victoire pour les avocats, et « un progrès considérable » pour les justiciables.

En effet, alors qu'aujourd'hui l'avocat ne peut intervenir que pendant trente minutes au début de la garde à vue et ne peut assister son client pendant les auditions, le projet prévoit, hors affaires de terrorisme, de trafic de drogue et de grand banditisme, d'autoriser sa présence pendant toute la garde à vue. Mais il ne pourra poser aucune question ni formuler aucune remarque. De toute façon, le procureur de la République, sur demande de la police, pourra par dérogation, s'il considère que des « circonstances particulières » l'exigent et sans avoir à justifier sa décision, différer la présence de l'avocat pendant douze heures.

Surtout, le projet prévoit d'offrir aux personnes interrogées la possibilité, pour échapper à la garde à vue, de consentir à y être interrogées en « audition libre... pendant le temps strictement nécessaire à leur audition », donc sans aucune limite légale de durée, et sans aucun des droits (nouveaux et anciens) qui s'attachent à la garde à vue (possibilité de joindre sa famille, son employeur, un médecin, un avocat). Et le gouvernement ose présenter cela comme un progrès ! On imagine la marge de liberté d'un suspect interpellé face aux policiers qui l'interrogent dans un commissariat.

Autre innovation, le projet de réforme propose de limiter la garde à vue aux « crimes et délits punis d'emprisonnement », et de réserver la possibilité de sa prolongation au-delà de 24 heures aux crimes et délits punis d'au moins un an de prison. Cette mesure, censée limiter le champ d'application de la garde à vue, ne limitera rien du tout dans la mesure où, comme l'explique le Syndicat de la Magistrature, « les délits non punis d'une peine d'emprisonnement sont très peu nombreux, et le recours à la garde à vue est déjà rarissime les concernant ». Les infractions routières - qui ont donné lieu en 2009 à 170 000 des 790 000 gardes à vue recensées - par exemple, sont passibles de plus d'un an d'emprisonnement : réforme ou pas, leurs auteurs n'échapperont donc pas plus à la garde à vue demain qu'aujourd'hui.

Le projet de réforme de la garde à vue devrait être présenté au Parlement à la fin du mois. En fait, si, pour répondre aux critiques du Conseil constitutionnel, il donne un certain nombre de nouveaux droits aux justiciables et aux avocats, dans le même temps, pour ne pas mécontenter les policiers, il donne à ceux-ci de nouveaux moyens pour contourner, voire pour annuler dans les faits ces dispositions nouvelles. Si la réforme est adoptée, elle risque donc de ne pas changer grand-chose à la situation actuelle, autrement dit à la marge de manoeuvre et au comportement de la police dans les commissariats.

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