Afrique du Sud : Le ras-le-bol de la classe ouvrière15/09/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/09/une2198.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afrique du Sud : Le ras-le-bol de la classe ouvrière

Le Mondial n'aura marqué qu'une courte trêve, très relative d'ailleurs, dans la vague de grèves que connaît l'Afrique du Sud depuis le début de l'année. Le premier semestre avait vu des grèves dures, dont celle de l'électricité, de la construction et, surtout, une grève chez Transnet (compagnie nationale de transport) qui avait paralysé les voies ferrées et les ports pendant trois semaines.

L'APRES-MONDIAL

Cette vague a repris dès le début du mois d'août, avec une grève illimitée des 30 000 ouvriers des sept usines de montage automobile du pays. Après douze jours de paralysie de la production, les grévistes ont fait reculer les constructeurs, arrachant une rallonge de 10 %, l'embauche directe des travailleurs précaires jusqu'ici employés par des sous-traitants, et l'extension à ces travailleurs de la couverture santé et retraite des travailleurs permanents.

Fort de ce succès, le syndicat de la métallurgie Numsa passa de nouveau à l'offensive à la fin août, avec une grève de l'ensemble des usines de pneus qui a arrêté toute production dans le pays. En même temps, le syndicat des mineurs NUM appelait à la grève dans plusieurs grandes mines, également sur les salaires.

Mais entre-temps un mouvement d'une tout autre ampleur avait éclaté le 18 août parmi les fonctionnaires. Cette fois, il s'agissait d'un mouvement national englobant l'ensemble des 1,3 million de fonctionnaires des administrations centrales et provinciales, dont les plus gros bataillons étaient ceux de la Santé et de l'Éducation, regroupant à eux seuls plus de 450 000 salariés.

Dans la Santé, notamment, le nombre et l'enthousiasme des piquets de grève devant les hôpitaux, leur volonté de résister face aux attaques de la police et le fait qu'ils ne se soient pas laissés démobiliser après que le gouvernement a envoyé l'armée et ses Casspirs - des blindés légers utilisés contre les ghettos noirs au temps du régime raciste de l'apartheid - prendre possession des locaux hospitaliers, ont témoigné de la combativité des grévistes.

COLERE DES GREVISTES ET MANOEUVRES DES APPAREILS

Sans doute s'agissait-il pour les leaders syndicaux - et ils s'en cachaient à peine - de rappeler au clan du président Jacob Zuma que c'était en partie à eux qu'il devait son accession à la tête de l'ANC au pouvoir et du régime, et qu'ils en attendaient plus de reconnaissance. Pour eux, il ne s'agissait pas de permettre aux grévistes d'aller jusqu'au bout des possibilités de leur mobilisation, mais de s'en servir, en la contenant dans des limites « acceptables », pour faire valoir leurs intérêts au sein des sphères dirigeantes du régime.

Pour les grévistes en revanche, au-delà du mécontentement face à l'aggravation des conditions de vie, il s'agissait de crier leur colère face aux politiciens de l'ANC dont les rivalités n'ont d'autre enjeu que de savoir qui, parmi eux, arrivera à s'enrichir le plus vite grâce aux privilèges que leur confère la proximité du pouvoir, alors que pendant ce temps l'écrasante majorité de la population pauvre s'entasse dans des taudis sans nom, parfois pires que ceux qu'elle avait connus du temps de l'apartheid, et pour une bonne part sans ressources ni protection sociale. Colère que bien des grévistes exprimaient, sur les piquets de grève comme dans les manifestations, par des pancartes condamnant ces politiciens millionnaires ou dénonçant le gaspillage de dizaines de milliards dans la construction des stades du Mondial.

Le 7 septembre, après trois semaines de grève, les leaders syndicaux ont appelé à la reprise sur la base d'un accord qui donnerait aux grévistes 7,5 % d'augmentation et 80 euros par mois de prime de logement (contre les 5,2 % et 50 euros initialement proposés par le gouvernement). Mais ce ne fut pas du goût de tous, comme on le vit lors de l'assemblée de militants enseignants de la province de Johannesburg, où les leaders syndicaux se firent huer et durent quitter précipitamment les lieux. Face à cette colère, les autorités de la province montrèrent leur hâte de voir finir la grève en offrant de payer une partie des heures de grève. Dans le même temps, les dirigeants syndicaux nationaux faisaient machine arrière, arguant qu'on les avait mal compris et qu'ils proposaient une « suspension » de trois semaines du mouvement, pour « consulter » les syndiqués pendant que s'ouvraient de nouvelles négociations.

Au même moment, néanmoins, la vague de grèves rebondissait dans le privé, lorsque les 70 000 ouvriers de l'équipement automobile se joignirent à ceux de l'industrie du pneu, en même temps que plusieurs dizaines de milliers de salariés des chaînes de distribution d'essence. En même temps, de nouvelles grèves éclataient dans les mines, portant à une dizaine le nombre d'exploitations paralysées.

L'avenir dira si les prétextes aussi tortueux que transparents des leaders syndicaux suffiront à contenir la colère des fonctionnaires et à désamorcer leur mobilisation, ou si au contraire ils seront encouragés à la fois par l'inquiétude manifeste des dirigeants de l'ANC et par la multiplication des mouvements de grève dans le privé.

Ce que l'on peut dire néanmoins c'est que la croissance des inégalités les plus criantes, la montée de la pauvreté et l'avidité au gain de la nouvelle bourgeoisie noire incarnée par l'ANC au pouvoir, fournissent tous les ingrédients d'une poudrière sociale qui ne demande qu'à exploser.

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