Février 1945 : La conférence de Yalta, une union contre les peuples12/02/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/02/une2167.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Février 1945 : La conférence de Yalta, une union contre les peuples

Il y a soixante-cinq ans, du 4 au 11 février 1945, se tenait en Crimée la conférence de Yalta, réunissant Roosevelt, président des États-Unis, Churchill pour la Grande-Bretagne et Staline pour l'URSS. Elle allait rester le symbole du partage du monde entre les puissances impérialistes d'une part et l'URSS d'autre part.

Dans les faits, ce ne fut qu'une entrevue, parmi bien d'autres pourparlers et marchandages, entre chefs d'État de puissances alliées contre l'impérialisme allemand, pour préparer l'immédiat après-guerre dans les pays libérés. Mais ce partage en zones d'influence tel qu'il avait été esquissé durant la conférence de Yalta allait perdurer quarante-cinq ans.

La fin de la guerre était proche, et une même crainte unissait les dirigeants impérialistes et Staline : celle de voir une explosion révolutionnaire balayer l'ordre établi, après les années de dictature, de guerre et de misère qu'avaient subies les peuples. Ils n'avaient pas oublié la vague révolutionnaire de 1917-1919, qui s'était produite à l'issue de la Première Guerre mondiale. Leur crainte était d'autant plus grande qu'en Europe de l'Est, le retrait des troupes allemandes des pays qu'elles avaient occupés laissait un vide étatique, sans armée, ni police, ni administration. Et ce n'étaient pas les gouvernements fantoches réfugiés à Londres durant la guerre qui auraient eu la force d'écraser une révolution ouvrière, ni même de contraindre la population à produire pour reconstruire l'économie capitaliste.

EMPECHER TOUTE EXPLOSION REVOLUTIONNAIRE

La principale préoccupation des alliés était donc de faire régner l'ordre par une occupation militaire à la fin du conflit, en attendant que se reconstituent dans les pays libérés ou vaincus des appareils d'État nationaux capables de prendre le relais. Ils ne voulaient pas que se reproduise à grande échelle ce qui s'était passé en Allemagne en 1918, où une révolution ouvrière avait éclaté au moment de l'armistice, causant la chute du régime impérial. Parallèlement aux discussions sur l'occupation, les pays impérialistes pratiquèrent dès 1943 une politique de terreur envers la population allemande (et plus tard japonaise) par des bombardements systématiques sur les grandes villes, ayant pour but de les vider de leurs habitants en faisant fuir les survivants vers les campagnes, afin d'empêcher toute organisation de la classe ouvrière qui aurait pu renverser les dictatures en place.

Pour empêcher une révolte des populations, ainsi que pour terminer la guerre au plus tôt, les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient besoin de la collaboration de l'URSS, que l'attaque nazie de juin 1941 avait placée dans leur camp. Ils avaient besoin d'elle en tant que gendarme, et aussi de l'influence que le régime stalinien exerçait sur la classe ouvrière européenne et mondiale, au travers des Partis Communistes.

Même si la méfiance était grande entre dirigeants occidentaux et soviétiques, Staline avait donné suffisamment de gages de bonne volonté pour que les dirigeants impérialistes puissent compter sur son soutien. Certains de ces gages, comme la dissolution de l'Internationale Communiste en mai 1943 ou l'abandon de l'Internationale comme hymne officiel de l'URSS, n'étaient pas uniquement symboliques : ils étaient le signe que Staline ne faisait même plus semblant de se réclamer de l'internationalisme et laissait les travailleurs de chaque pays seuls face à leur bourgeoisie.

Par ailleurs, Staline avait montré qu'il respectait à la lettre les accords conclus lors de précédentes rencontres. Dans les Balkans, conformément avec ce qui avait été conclu avec Churchill, il laissa l'armée britannique massacrer les résistants communistes de l'ELAS quand celle-ci prit pied en Grèce fin 1944. En Italie, le dirigeant du PCI, Togliatti, accepta en avril 1944 de participer au gouvernement du maréchal Badoglio, qui avait contribué en 1922 à installer Mussolini au pouvoir, gouvernement mis en place par les Anglo-Américains dans le Sud, sous l'égide d'un roi qui s'était pourtant déconsidéré pendant la durée du régime fasciste. Togliatti fera plus tard rendre leurs armes aux partisans ayant lutté dans le Nord contre l'armée allemande.

LA CONFERENCE DE YALTA

En février 1945, au moment où s'ouvrit la conférence de Yalta, le recul des armées allemandes permettait de voir la fin de la guerre en Europe dans un avenir relativement proche, mais il n'en était pas de même en Extrême-Orient, où les États-Unis affrontaient l'impérialisme japonais avec leurs seules forces. En Europe même, le rapport des forces militaires ne jouait pas en faveur des Occidentaux. Alors que leurs armées étaient toujours bloquées à l'ouest du Rhin, après la contre-offensive allemande dans les Ardennes, l'Armée rouge avançait à grands pas en Europe de l'Est, et n'était qu'à une centaine de kilomètres de Berlin. Il devenait donc urgent pour les pays impérialistes de fixer avec l'URSS des positions communes sur l'Allemagne.

Deux points furent donc discutés : le tracé des zones d'occupation et le montant des réparations. Les dirigeants des trois pays, Roosevelt, Churchill et Staline, s'étaient déjà mis d'accord sur le fait qu'il fallait empêcher l'Allemagne de redevenir une puissance économique rivale et pour exercer directement le pouvoir à la fin de la guerre, par la reddition complète du régime nazi, le désarmement total et le démantèlement du pays en trois zones d'occupation : la Grande-Bretagne se voyait attribuer le nord-ouest du pays, dont la Ruhr industrielle, les États-Unis le sud-ouest, l'est du pays revenant à l'URSS. À Yalta, il fut convenu « d'inviter » la France à participer à ce découpage, Staline obtenant que la part qui lui serait attribuée fût prélevée sur les zones occidentales. La capitale, Berlin, fut elle aussi divisée en quatre zones. En ce qui concerne les réparations demandées à l'Allemagne, une somme de 20 milliards de dollars, dont la moitié reviendrait à l'URSS, fut fixée comme « base de futures discussions », et il fut convenu par ailleurs des réparations en nature sous forme de saisie de machines, de prélèvements sur la production, et l'emploi de la main-d'oeuvre allemande.

Le point qui souleva le plus de discussion fut celui des frontières de la Pologne. La frontière de l'est, qui laissait à l'URSS les territoires qu'elle avait avalés en 1939 à la suite de l'accord germano-soviétique, fut admise sans discussion, mais le tracé de celle de l'ouest posa plus de problèmes : tout le monde était d'accord pour qu'elle suive la ligne des fleuves Oder-Neisse... sauf qu'il existe deux Neisse en Pologne ! Staline, qui voulait un État polonais suffisamment grand pour faire tampon avec les pays occidentaux, tenait à ce que la Neisse occidentale serve de frontière, tandis que Churchill et Roosevelt optaient, eux, pour la Neisse orientale. Aucun compromis ne fut trouvé à Yalta, même si par la suite la proposition de Staline devait s'imposer. Celui-ci fit par ailleurs preuve de bonne volonté envers les dirigeants impérialistes en acceptant d'intégrer au gouvernement pro-soviétique de Pologne des membres du gouvernement en exil de Londres.

Les modifications de frontières décidées à Yalta allaient obliger des millions d'habitants à quitter les lieux où ils vivaient depuis parfois des générations. Les Allemands en particulier étaient chassés de tous les territoires de la zone d'occupation soviétique, en dehors de ce qui allait devenir la RDA. Ces déplacements de populations se firent dans des conditions dramatiques, au cours de l'hiver 1945-46. Mais pour Churchill c'était « la solution la plus satisfaisante ». « Je ne vois pas, disait-il cyniquement deux mois plus tôt, pourquoi il n'y aurait pas de place pour la population allemande de Prusse-Orientale et des autres territoires. Après tout, six ou sept millions d'Allemands sont morts durant cette guerre effroyable dans laquelle ils ont plongé toute l'Europe » !

Concernant la guerre en Extrême-Orient, en contrepartie de la promesse que l'URSS récupérerait des territoires perdus dans la guerre russo-japonaise de 1905, Staline s'engagea à déclarer la guerre au Japon dans les trois mois suivant la défaite de l'Allemagne, ce qu'il fit en août 1945... après la destruction d'Hiroshima et de Nagasaki par la bombe atomique.

Il fut aussi beaucoup question de « démocratie » et de la nécessité d'établir, « dès que possible, par des élections libres, des gouvernements qui soient l'expression de la volonté des peuples » dans les pays libérés, mais sans aucune précision sur ce « possible ».

La conférence de Yalta n'était qu'une étape dans les discussions menées entre les représentants des trois pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais elle officialisait la collaboration entre les États impérialistes et l'URSS stalinienne pour empêcher toute révolution et se partager la tâche du maintien de l'ordre existant, à l'échelle de la planète.

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