Ukraine : Élection présidentielle sur fond de crise21/01/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/01/une2164.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Élection présidentielle sur fond de crise

« L'Ukraine c'est vous », « L'Ukraine des gens », « L'Ukraine sera heureuse »... À chaque pas ou presque, dans les grandes villes d'Ukraine, s'étalaient en d'immenses panneaux les slogans des 18 candidats à l'élection présidentielle du 17 janvier, surtout ceux des trois vedettes de la vie politique ukrainienne depuis des années : le président sortant Viktor Iouchtchenko, sa Première ministre, ex-alliée devenue ennemie jurée, Ioulia Timochenko, et Viktor Ianoukovitch, celui que les deux précédents, s'appuyant sur la rue, avaient obligé à renoncer à devenir président après un scrutin largement truqué en 2004, lors de ce que l'on a appelé la « révolution orange ».

Mais la débauche de clips télévisés, de publicités géantes, le temps d'une campagne, ne pouvait masquer la réalité sociale d'une Ukraine qui s'enfonce dans la crise.

Un pays en quasi-faillite

Ainsi à Kharkov, deuxième ville du pays, où à la veille du scrutin, si tramways et trolleybus étaient bondés, chose habituelle, c'était, ce qui l'est moins, à l'arrêt et de grévistes. Depuis six mois, les autorités ne paient plus ces employés des transports urbains. Après avoir promis cet automne de rétablir leurs salaires, les mêmes expliquent maintenant que ce n'est pas la peine car conducteurs et contrôleurs garderaient l'argent des tickets - comme s'ils pouvaient faire autrement pour vivre !

Même selon des chiffres officiels largement sous-évalués, 20 % des travailleurs ukrainiens sont sans emploi. La production a reculé dans les mêmes proportions. La monnaie ukrainienne a vu fondre son pouvoir d'achat, alors que de nombreux articles de consommation courante sont importés et à des prix occidentaux. Le salaire moyen, lui, atteint difficilement 170 euros. Frappée par la crise mondiale, l'Ukraine se trouve avec un État en quasi-faillite, tenu à bout de bras par le Fonds monétaire international. Celui-ci lui a accordé onze milliards de dollars de crédit, mais refuse de débloquer deux autres milliards en invoquant l'instabilité d'un régime où les factions rivales ne cessent de se succéder au pouvoir. Il taxe aussi d'irresponsabilité les dirigeants ukrainiens parce que, dans l'espoir de grappiller quelques points dans les sondages, ils ont relevé le salaire minimum... à 53 euros par mois ! Et pendant ce temps l'Ukraine bat le record du pays le plus corrompu de l'ex-Union soviétique. Car si les classes populaires s'enfoncent dans la misère, les petits et grands bureaucrates au pouvoir se paient sur une population dont ils n'ont aucune envie de partager le sort.

Une claque aux sortants

Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les électeurs aient sanctionné les candidats incarnant l'actuel pouvoir. Ainsi Iouchtchenko, le président sortant, a été sorti au premier tour avec 5 % des voix. Ioulia Timochenko, son ex-partenaire de la « révolution orange », n'a eu de cesse de s'en démarquer. Pourtant, elle n'a obtenu qu'un quart des suffrages, malgré les moyens quasi illimités de propagande gouvernementaux dont elle a disposé comme Premier ministre.

Le paradoxe apparent est qu'arrive en tête du premier tour, avec plus de dix points d'avance, Ianoukovitch, le tricheur de l'élection de 2004, lui que la pression de la rue avait contraint de renoncer à se proclamer élu et que l'on disait alors « politiquement carbonisé ».

Pour engranger un tiers des voix, Ianoukovitch n'a pas eu à faire grand-chose : le rejet des gens du pouvoir dans l'opinion était son principal atout et son seul programme. Pour le reste, il a, pratiquement dans les mêmes termes que Timochenko, appelé à des relations privilégiées avec Moscou - auxquelles aspire une grande majorité de la population, après les années de nationalisme agressif de Iouchtchenko. Il a aussi, comme elle, rappelé qu'il était pour l'intégration de l'Ukraine à l'Union européenne. En fait, cela ne dépend pas des souhaits des dirigeants ukrainiens, mais des choix des grandes puissances ouest-européennes, qui répètent qu'elles n'ont aucune intention d'accueillir l'Ukraine, au moins dans un avenir prévisible.

Pour tenter de combler son handicap du premier tour, annoncé par tous les sondages, et préparer le second, Ioulia Timochenko a dénoncé son futur adversaire du 7 février comme « l'homme du business », sachant quelle haine les milieux d'affaires inspirent à de larges couches de la population.

Ianoukovitch s'appuie en effet sur les clans qui tiennent l'industrie lourde et les mines de l'est de l'Ukraine, tout particulièrement dans sa région, celle de Donetsk, c'est un fait bien connu. Première fortune du pays, Rinat Akhmetov le soutient depuis des années, tout comme des magnats de moindre envergure. Mais pareille dénonciation ne manque pas de sel, venant de celle qui, après la chute de l'URSS, s'était ruée dans les affaires avec l'appui de hauts bureaucrates à Kiev et à Dniepropetrovsk. Sacrée femme la plus riche d'Ukraine, Ioulia Timochenko gagna le sobriquet de « princesse du gaz » pour avoir accumulé sa fortune dans les trafics en grand d'hydrocarbures. Et si, à l'époque, avoir piétiné les plates-bandes d'autres affairistes lui valut de tâter de la prison, depuis qu'elle est revenue aux affaires, elle a su attirer dans son orbite des oligarques parmi les plus en vue. Y compris certains qui ont financé sa campagne... en même temps que celle de Ianoukovitch, voire de quelques autres.

À leur façon, ces affairistes-mafieux rappellent, à qui en aurait douté, que, quel que soit celui ou celle qui l'emportera le 7 février, les travailleurs d'Ukraine n'ont rien, absolument rien de bon à en attendre.

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