Haïti

La misère, résultat de la domination impérialiste

Après le séisme qui a frappé HaÎti, des commentateurs ont évoqué une « malédiction » qui aurait ainsi frappé, une fois de plus, un des pays les plus pauvres de la planète. Mais la situation désastreuse de ce pays, dans une île au sol et au climat favorables, ne doit rien au mauvais sort. Elle est, en revanche, la conséquence directe de l'exploitation forcenée subie depuis cinq siècles, depuis que les bateaux de Christophe Colomb ont accosté sur l'île en 1492.

Les premiers habitants indiens de l'île, que les conquérants appelèrent Hispaniola, furent exterminés en quelques décennies et remplacés par des esclaves noirs déportés d'Afrique dès 1517. Près de trois siècles d'esclavage s'achevèrent par la plus grande révolution d'esclaves de l'histoire moderne. Devenu le premier État noir indépendant sous le nom d'Haïti, le pays connut le destin qui fut, bien plus tard, celui de tant de peuples colonisés : le monde capitaliste ne lui pardonna jamais son audace.

L'insurrection des esclaves noirs

L'île d'Hispaniola resta espagnole de 1492 à 1697, quand sa partie orientale passa sous domination française. En 1791, cette dernière produisait les trois quarts du sucre consommé dans le monde, et aussi du café, du coton et de l'indigo. C'était alors la « perle des Antilles » grâce au fruit du travail d'un demi-million d'esclaves. Les Noirs nés sur place et ayant acquis des positions dans la hiérarchie des esclaves, pouvaient être affranchis, mais pas la grande majorité des esclaves nés en Afrique, rivés au travail le plus dur, celui des plantations. Pour fuir sa violence, les esclaves trouvaient une issue dans le « marronage », la fuite dans les montagnes.

La Révolution française et ses idées de liberté atteignirent Haïti. Les 5 000 planteurs blancs voulaient commercer librement en se débarrassant de la tutelle française. 28 000 mulâtres et Noirs affranchis, méprisés par les Blancs et privés de droit politique exigeaient l'égalité pour eux. Les mulâtres propriétaires de terres cultivées par des esclaves n'en restaient pas moins partisans de l'esclavage. Mais, en août 1791, cent mille esclaves des plantations du Nord se soulevèrent.

L'Assemblée nationale française envoya un représentant pour affirmer son autorité sur les esclaves révoltés et face aux colons. Ceux-ci prirent contact avec l'Angleterre pour lui offrir l'île. Les troupes anglaises allaient débarquer lorsque, pour y faire face et conserver à la France les revenus d'Haïti, le représentant de la Convention proclama la liberté des esclaves le 29 août. Le 4 février 1794, la Convention ratifia cette décision et abolit l'esclavage.

Toussaint Louverture, un esclave affranchi, constitua une armée de quelques centaines d'esclaves. En mai 1794, il se mit au service des représentants du régime révolutionnaire de France. L'armée française d'Haïti était une armée noire, du simple soldat jusqu'au général. Dès 1797, cette armée, soutenue par la population noire, était maîtresse de l'île. Les anciens maîtres blancs perdirent esclaves et plantations. Les mulâtres propriétaires libérèrent leurs esclaves mais conservèrent leurs plantations et ils devinrent une composante de la nouvelle classe dirigeante avec les officiers supérieurs de l'armée de Toussaint.

Après la chute de Robespierre en juillet 1794, comprenant que la révolution anti-esclavagiste n'était pas assurée, Toussaint Louverture établit une dictature militaire. En prévision des affrontements à venir, il voulait ramener les anciens esclaves aux plantations. Dans le Nord, ceux-ci refusèrent et se révoltèrent. La répression fit un millier de victimes, et les masses se détournèrent de Toussaint au moment même où Bonaparte décidait de récupérer la « perle des Antilles » et d'y ramener les propriétaires d'esclaves. Le débarquement des troupes de Bonaparte en 1802 fit chuter Toussaint Louverture, emprisonné et déporté en France où il mourut en prison.

En voulant rétablir l'esclavage, Bonaparte déclencha une nouvelle insurrection. Le général Leclerc, chef de l'expédition française, lui écrivit : « Ce n'est pas tout d'avoir enlevé Toussaint, il y a ici 2 000 chefs à faire enlever ». Dessalines, Christophe et les autres généraux noirs de Toussaint participèrent d'abord à la répression, mais le soulèvement était si profond qu'ils finirent par se porter à sa tête, tout en assassinant les principaux chefs des insurgés. Alors que les armées de Napoléon remportaient des victoires en Europe, ses soldats échouèrent devant 400 000 esclaves en lutte pour leur liberté. L'esclavage ne put être rétabli. Ce fut la première guerre coloniale perdue par la France. En 1804, Dessalines proclamait le premier État noir indépendant, Haïti.

Le nouvel État n'allait cependant pas échapper à l'emprise du monde capitaliste. Les nouveaux maîtres allaient poursuivre la production pour l'exportation, se soumettant aux règles inégales du grand commerce international et à la dépendance qu'il engendre. En revanche, ils ne parvinrent pas à maintenir les grands domaines. De nouveaux soulèvements réclamèrent même la dépossession des citoyens riches, quelle que fût leur couleur, et le partage de leurs biens.

Les dirigeants d'Haïti renouèrent des relations commerciales pour le café et le bois de teinture, qui dépassaient désormais le sucre. Mais Haïti resta politiquement isolée, car elle constituait la preuve que les esclaves peuvent se débarrasser de leurs maîtres. Et si Napoléon puis Louis XVIII refusèrent de reconnaître l'indépendance d'Haïti, il en était de même pour toutes les puissances qui tiraient des profits de l'esclavage, où que ce soit. Ainsi, les États-Unis attendirent 1862, l'année où ils abolirent l'esclavage, pour reconnaître Haïti !

Le pillage financier d'Haïti

Après de multiples tractations, le roi de France Charles X avait enfin accepté en 1825 de reconnaître l'indépendance d'Haïti, mais contre le versement d'une indemnité de 150 millions de francs-or (ramenée plus tard à 90 millions), et d'une réduction de 50 % des droits de douane en faveur de la France. Cette indemnité représentait dix ans de revenus des exportations d'Haïti.

Pour payer, le dictateur d'Haïti, Boyer, contracta un emprunt, plaçant le pays entre les griffes des banquiers français. En cédant à la pression française, les dirigeants d'Haïti acceptaient de s'en faire l'instrument contre la population pauvre. Et l'État haïtien s'enfonça dans l'endettement. En 1913-1914, le service de cette dette absorbait 80 % des revenus du pays.

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