Dans le monde

Russie : Licenciements massifs et en série

Avtovaz, principal constructeur automobile russe, dont Renault détient un quart du capital et qui produit la Lada, a confirmé qu'il licencierait 5 000 salariés d'ici à la mi-décembre, et que 31 000 autres emplois pourraient disparaître. Dans l'un des fleurons industriels du pays, un travailleur sur trois est menacé de se retrouver au chômage.

Ce serait bien sûr une catastrophe pour des travailleurs qui ont déjà subi chômage technique et baisses de salaire ces derniers mois. Mais ce serait aussi frapper à mort toute une ville de 700 000 habitants, Togliatti, surnommée Avtograd (Voiture-ville, en russe) parce que construite autour de l'usine gigantesque d'Avtovaz avec ses 102 000 emplois, et cinq fois plus d'emplois indirects, dont cette ville et sa région dépendent entièrement.

Un autre géant automobile, Gaz, qui produit la Volga et est contrôlé par un magnat russe, Oleg Deripaska, a déjà licencié 7 000 travailleurs cette année. Il vient d'annoncer qu'il va en licencier 14 000 autres d'ici à la fin 2009.

Début août, les chaînes d'autres groupes automobiles russes, Kamaz et Ijavto, les chaînes d'assemblage de Renault, GM, Toyota, Nissan, celles de Ford à Vsevolojsk, etc., étaient une nouvelle fois arrêtées pour plusieurs semaines. La plupart n'ont repris qu'à mi-temps ou pour une « semaine » de quatre jours, avec de fortes pertes de salaire en conséquence. Un millier d'entreprises approvisionnant ces grands groupes sont menacées. Dans le seul district de Saratov, sur la Volga, 47 d'entre elles annoncent des licenciements. Fin septembre, le fabriquant de pneus Ouralchin à Ekaterinbourg annonçait, lui, qu'il licenciait les deux tiers de son millier d'employés !

LA CRISE EST PASSEE PAR LA

Les directions de ces entreprises invoquent la crise en général, et la chute de leurs ventes en particulier, pour justifier ces licenciements massifs. Constructeurs russes, firmes étrangères fabriquant ou assemblant sur place, importations de voitures étrangères : c'est tout le marché russe de l'automobile qui s'est effondré. Ses ventes ont reculé de moitié depuis l'été 2008, quand la revue française L'Usine nouvelle qualifiait la Russie de « premier marché européen » de l'automobile, devant l'Allemagne. À la même époque, le cabinet américain de services financiers PwC, présentant ses désirs (et surtout ceux des importateurs occidentaux) pour la réalité, affirmait que d'ici à 2015 « la Russie pourrait compter pour 20 % du marché mondial (de l'automobile), dans la mesure où sa croissance s'accélère ».

Depuis, en Russie, la crise financière mondiale a eu pour effet de provoquer un brusque recul du pouvoir d'achat de la population. D'abord celui des classes laborieuses, bien sûr, mais aussi celui de millions de petits bourgeois, dont la consommation de voitures étrangères et de produits d'importation s'est brutalement réduite, alors qu'elle avait ces dernières années entraîné une croissance économique devant laquelle certains s'extasiaient. On constate une nouvelle fois que cela ne reposait pas sur grand-chose.

LES CRAINTES DES DIRIGEANTS RUSSES

Cet été, au moment même où les grands groupes automobiles lançaient cette vague de licenciements massifs, suivis par plusieurs compagnies aériennes, dont la principale, Aeroflot, annonce qu'un tiers de ses effectifs pourrait disparaître, le Premier ministre Poutine affirmait : « Le pic de la hausse du chômage est derrière nous. »

Poutine n'est pas seulement, comme ses homologues occidentaux, un adepte des gros mensonges. Il est aussi bien placé pour savoir que, dans un pays où il existe 500 de ces villes de mono-industrie telles que Togliatti, avec, héritage de la période soviétique, une classe ouvrière nombreuse et concentrée, une brusque aggravation du sort des classes laborieuses pourrait prendre un tour explosif.

Il a pu le vérifier encore en juin dernier à Pikaliovo (région de Leningrad) où les ouvriers de trois usines fermées depuis des mois avaient, pour toucher leurs arriérés de salaires, fini par bloquer une voie rapide. Poutine avait dû se rendre sur place et menacer les propriétaires des usines concernées de les nationaliser s'ils ne rouvraient pas. Certes, il n'était pas allé jusqu'à les forcer à payer les retards de salaires, l'État s'en chargeant. Mais cela avait suffi pour que, en divers points où existent des situations analogues, des grèves éclatent, des assemblées de travailleurs exigent que l'on nationalise à nouveau leur entreprise.

Cela pourrait-il prendre la forme d'un mouvement de masse, à la mesure des attaques que subissent les travailleurs de Russie depuis des années, attaques redoublées avec la crise actuelle ? On ne peut que le souhaiter. Quant aux dirigeants russes, ils semblent craindre cet « extrémisme », comme ils disent. En tout cas le président Medvedev, intervenant devant de hauts gradés du ministère de l'Intérieur, les a appelés à lutter plus activement contre « l'extrémisme dans un contexte de crise économique » car, disait-il, « dans une telle période peuvent apparaître des gens désireux de miser sur cette situation ».

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