Guadeloupe, au 29e jour de grève générale : Les interventions de la police18/02/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/02/une2116.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Guadeloupe, au 29e jour de grève générale : Les interventions de la police

Depuis lundi 16 février, au 27ème jour de la grève générale en Guadeloupe, la tension est montée d'un cran.

Grévistes et manifestants, las d'arpenter les chaussées de Pointe-à-Pitre, ont décidé qu'ils en avaient assez de marcher et marcher sans cesse pour obtenir satisfaction de leurs revendications. Ils ont annoncé leur intention de bloquer complètement la Guadeloupe, jusqu'à ce que les patrons et l'État reconnaissent l'accord du 8 février. Accord qu'ils avaient eux-mêmes mis sur pied avec les syndicats membres du collectif LKP. Les manifestants sont passés à l'action.

Face au refus du patronat, des Békés, du gouvernement, de céder aux revendications du LKP (alliance contre l'exploitation outrancière), celui-ci a décidé d'appeler à organiser des barricades et des barrages routiers sur certains grands axes.

Cela fut fait particulièrement à Gosier, au lieu-dit Poucette sur la route nationale, les forces de police sont intervenues avec une grande brutalité. Elles ont chargé, tabassé, piétiné une femme et frappé brutalement plusieurs autres, en plus des militants. Car autour des 200 militants et sympathisants LKP qui se trouvaient sur ce barrage, la population était aussi venue soutenir ou prêter main-forte. Les CRS visaient particulièrement un certain nombre de dirigeants. C'est ainsi que le secrétaire de la fédération de l'hôtellerie UGTG, Charly Landau, et un autre dirigeant de l'UGTG, Gabriel Bourguignon furent interpellés et embarqués sans ménagement. Puis d'autres jeunes. En tout il y eut 80 interpellations brutales.

Le militant le plus gravement touché fut Alex Lollia secrétaire général de la CTU. Il a été interpellé et emmené à l'hôpital avec de nombreuses contusions, une cheville cassée ou foulée. Étant cardiaque, il fut gardé en observation. La nouvelle courut vite dans toute l'île. L'interpellation de Lollia, très connu, dans ces conditions causa un grand émoi dans la population.

Lollia a déclaré sur les ondes que les CRS lui ont crié avant de le frapper « on a vu ta sale gueule de nègre à la télé hier soir ». Plusieurs témoignages de camarades du LKP frappés et molestés concordent sur le fait que les forces de l'ordre frappaient aux cris de « sale nègre ». Ce qui a fait dire à Alex Lollia sur les ondes que ces forces n'étaient pas venues rétablir la libre circulation, mais voulaient « casser du nègre », selon leur expression devenue tristement célèbre depuis la tuerie de Mai 1967.

Un membre du service d'ordre du LKP a aussi reçu une balle dans la jambe. Le CRS ou le gendarme a déclaré qu'il n'avait pas visé mais que « la balle est partie involontairement »! ! ? ?

Sur la place de la Victoire à Pointe-à-Pitre

Quelques heures après, la tension est encore montée lorsque la foule s'est massée sur la place de la Victoire pour exiger la libération des interpellés, toujours au son du « gro ka ». Le LKP a exigé et obtenu qu'une délégation aille s'entretenir avec le directeur de la police. Les cordons de CRS, après le lui avoir demandé, ont laissé passer six membres dirigeants du collectif. Ces derniers ont interpellé le directeur de la police. Il y avait devant le commissariat le député socialiste Jalton (très bien vu des manifestants), le maire de Pointe-à-Pitre et deux ou trois conseillers généraux. Christiane Taubira, députée de Guyane, présente en Guadeloupe, est également venue exiger la libération des jeunes.

Lorsque la délégation du LKP arriva devant le commissariat et voulut y pénétrer, elle déclara qu'elle avait autant de légitimité que le député Jalton et les autres élus en ces circonstances et que c'était « nos camarades et non ceux de Jalton » qui étaient en garde à vue.

Les dix jeunes qui se trouvaient là au commissariat de Pointe-à-Pitre furent relâchés, puis regagnèrent avec la délégation du LKP les milliers de manifestants, sous les hourrah.

Fait à signaler : tous les jeunes à l'interrogatoire, à part trois, ont déclaré s'appeler LKP 1, LKP 2, LKP 3, LKP 4 etc. Sauf trois d'entre eux qui, ayant leurs papiers sur eux, furent fouillés et obligés de déclarer leur véritable identité. Ils refusèrent d'être pris en photo et qu'on leur prenne leurs empreintes digitales. Ils doivent être traduits en justice en... juin. Tous les autres interrogés dans d'autres commissariats ont été libérés.

Dans les autres communes

Ailleurs, le barrage du lieu-dit « La Boucan », commune de Sainte-Rose, tient bon jusqu'à présent. Les CRS ont chargé pour le briser, mais les manifestants en ont construit trois ou quatre autres très hauts, très renforcés derrière. Jusqu'à présent, ils n'ont pu le détruire.

À Capesterre, lundi 16 février, les manifestants ont tenu pendant plusieurs heures sur leur barrage avant d'être délogés mais ils n'étaient pas très nombreux. Le lendemain, ils étaient bien plus nombreux. Ils en construisirent deux et mirent au moins une fois les forces de l'ordre en déroute par une pluie de pierres. Les barrages ont tenu.

À Petit Bourg, mardi 17, le barrage a tenu toute la journée avec environ 200 manifestants, toujours du LKP. Des jeunes très remontés avaient amassé des pierres et des armes légères. Il fallut beaucoup de persuasion du service d'ordre du LKP pour qu'ils n'agressent pas de front les forces de police, bien armées. Le service d'ordre put obtenir d'eux, non sans mal, qu'ils dégagent juste après les sommations légales des gendarmes. Ils se massèrent de part et d'autre du rond-point de « carrère-Montebello » en criant, en lançant des pierres. Les forces de l'ordre répondaient par des grenades lacrymogènes. Mais visiblement elles avaient reçu des ordres de modération en raison des brutalités de la veille.

C'est bien net maintenant : lorsqu'on voit des Noirs parmi les forces de l'ordre, c'est que les interventions seront moins brutales. Lorsque les ordres sont de sévir, on ne voit que des militaires blancs intervenir. Du reste, ces gendarmes ou CRS noirs se sont fait copieusement injurier. Les manifestants leur disaient « restez derrière », « ne faites pas les « neg à blan » (ne soyez pas les larbins des Blancs), « vous êtes des traîtres », « venez avec nous ».

Toujours sur ce barrage de Petit Bourg (à Montebello), un petit groupe de jeunes a échappé à la vigilance du service d'ordre et a tenté de refaire un barrage en amont. Un camion de police a foncé vers eux et lancé une pluie de grenades lacrymogènes. Les jeunes répondaient par une pluie de pierres. Un jeune reçut une grenade lacrymogène à tir tendu dans l'estomac. Il fut évacué en ambulance, mais ne fut que légèrement touché. Pendant ce temps, discrètement, des groupes de jeunes partaient pour construire un barrage ailleurs à l'entrée de la commune

Partout dans l'île, ce ne sont que voitures calcinées, routes et rues encombrées par des groupes de jeunes excédés.

Il faut signaler particulièrement le cas de la commune du Gosier, complètement isolée du reste de l'île par des barrages. C'est dans cette commune que les brutalités du 16 février ont été les plus fortes. Et la population s'est rendue en masse pour aider les militants du LKP, prenant de nombreuses initiatives.

Au moment où nous écrivons, les barrages routiers se multiplient en Guadeloupe avec la participation et le soutien actif de toute la population, en dépit des interventions policières. Rien ne fait reculer la détermination de la population amassée autour des barrages : ni les coups, ni les grenades lacrymogènes, ni les arrestations et détentions de jeunes manifestants !

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