Dans le monde

Russie : Et après Poutine, Poutine ?

S'il avait pu y avoir, comme cela se fait dans certains pays, des paris sur l'élection présidentielle russe du 2 mars, assurément ils n'auraient pas fait recette, faute de parieurs et faute d'enjeu.

Car personne ne doute que Dmitri Medvedev, vice-Premier ministre et successeur désigné par le président russe sortant, Vladimir Poutine, sera élu. Désigné, il l'a été depuis des mois par Poutine, et cela suffit amplement. La seule inconnue, c'était le score final de celui que les sondages créditaient de 80 % d'intentions de vote ces derniers temps. Ce score final, d'ailleurs, dépendra peu des électeurs, même si une majorité d'entre eux n'avait aucune raison de voter pour un autre que Medvedev. Celui-ci apparaît en effet comme le gage, labelisé Poutine, d'une certaine continuité dans la stabilisation de l'État et d'une relative amélioration du niveau de vie, après la décennie Eltsine de chaos politique et d'effondrement social.

En fait, l'élection de Medvedev n'est qu'une formalité destinée à donner une couleur démocratique, populaire, à la désignation du nouveau chef, en titre, de la couche dirigeante et privilégiée russe par celui, Poutine, qui exerce actuellement cette fonction. Une désignation qui, apparemment, a fait l'objet d'un relatif consensus au sein des milieux dirigeants de la bureaucratie russe et des milieux d'affaires qui leur sont associés, quand ce ne sont pas les mêmes.

Ce sont d'ailleurs les fonds, semble-t-il inépuisables, des divers rouages de l'État - ce que l'on appelle en Russie les " moyens administratifs " - et ceux, tout aussi généreux, des entreprises, dont la prospérité dépend en partie au moins du bon vouloir des autorités, qui ont " fait " le succès de la campagne-rouleau compresseur de Medvedev.

Présent à tous les journaux télévisés depuis des mois, ses moindres visites à un hôpital, une usine, une école ont été couvertes par les médias et d'abord par les principales chaînes de télévision du pays. Pas étonnant que, comme Poutine lors de ses deux campagnes de 2000 et 2004, Medvedev ait refusé tout débat contradictoire avec ceux qu'on n'ose appeler ses adversaires, ni même ses concurrents !

Car, décorum électoral oblige, il y avait d'autres candidats. Juste ce qu'il faut - trois - et juste comme il faut - Vladimir Jirinovski, l'ultra-nationaliste et démagogue qui n'a jamais fait défaut à Poutine ; Andreï Bogdanov, un illustre inconnu - comme à chaque scrutin présidentiel où il y a de tels figurants-comparses ; et enfin Guennadi Ziouganov, chef du parti dit communiste, aussi nationaliste, adepte de l'économie de marché et fervent supporter de l'Église orthodoxe qu'il est possible, et que le reste du monde politique dirigeant de la Russie, et ayant donc bien du mal à faire figure même de loin d'" opposition de sa majesté ".

Eh bien, malgré tout cela, le Kremlin a encore trouvé à écarter de la course à la candidature des gens comme l'ex-champion d'échecs Garri Kasparov, le gouverneur Boris Nemtsov ou encore un ex-Premier ministre de Poutine, Mikhaïl Kassianov, tous trois qualifiés de " libéraux ". Ce n'est pas qu'ils auraient pu être en quoi que ce soit dangereux dans ce scrutin, mais ils auraient, quand même pu, un tout petit peu, passer à la télévision. Et faire entendre quelques critiques mal venues.

Alors, quand on a été formé à l'école du KGB (la police politique) comme Poutine, il faut croire qu'on ne se refait pas. Et qu'on ne peut se priver de faire taire même un filet de voix un peu discordant, et même s'il n'a guère d'écho dans la population.

Mais il se peut aussi - cela, c'est l'avenir qui le dira - que cette succession arrangée au sommet, de Poutine, par Poutine et avec celui, Medvedev, qu'on présente comme une création et un fidèle parmi les fidèles du même Poutine, ne soit pas autant dénuée de risque qu'on le dit parfois.

Les clans dirigeants de la bureaucratie ont prospéré comme jamais durant les deux mandats présidentiels de Poutine. Ils aspirent, bien entendu, à ce que rien ne vienne perturber et la bonne marche de leurs affaires et la stabilité de l'État qui en est la garante, nouvellement retrouvée et encore fragile. Mais, les rivalités ne manquent pas entre les clans dirigeants du monde politico-économique russe qui chercheront, forcément, à mieux se placer auprès du nouvel élu. Il faudrait donc sans doute peu de chose pour que l'instabilité réapparaisse, par exemple du fait de rivalités entre l'équipe du nouvel élu et celle de l'ex-président Poutine, qui se contentera difficilement du rôle de second.

En tout cas, c'est l'expérience qu'avaient faite à leurs dépens Eltsine et surtout son entourage affairiste quand ils avaient cru trouver en Poutine un successeur à leur main...

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