Leur société

Société Générale : Qui a creusé le trou ?

4,9 milliards d'euros : telle est la somme astronomique que la Société Générale viendrait de perdre du fait des agissements d'un de ses salariés, un " trader " du nom de Jérôme Kerviel. Selon les premiers éléments de l'enquête, il semblerait que celui-ci ait déjoué les systèmes de contrôle informatiques, pour se livrer à des spéculations sur un montant de 50 milliards d'euros, soit à peu près l'équivalent des fonds propres de la banque.

La Société Générale aimerait, pour se dédouaner, faire croire qu'il s'agit là du geste d'un individu suffisamment machiavélique pour contourner des garde-fou pourtant fiables. Son PDG, Daniel Bouton, a qualifié Jérôme Kerviel d'" escroc ", de " fraudeur " et pire encore de " terroriste ". Rien de moins. Quant au gouvernement, il s'est empressé pour les mêmes raisons de défendre, lui aussi, l'hypothèse de l'acte isolé et d'appuyer la version de la direction de la banque.

Pourtant, dès l'affaire connue, des spécialistes financiers ont exprimé leur scepticisme sur la sincérité de l'indignation des dirigeants de la Société Générale, ainsi que sur la possibilité qu'un jeune courtier ait pu, à lui seul, et en secret, échafauder une telle opération. La banque ayant par ailleurs officiellement déclaré avoir accumulé deux milliards d'euros de pertes dans la crise des " subprimes " américaines, elle aurait pu saisir l'opportunité et profiter de cette affaire pour faire diversion et faire passer ses pertes (en réalité plus massives que les deux milliards avoués) pour le résultat d'une escroquerie, en faisant porter le chapeau à un lampiste plutôt qu'avoir à rendre des comptes sur sa gestion.

En tout cas, parmi les dirigeants de la banque, il y en a qui ont eu le nez creux - ou de bonnes informations - puisqu'un des membres du conseil d'administration a vendu 85,7 millions d'euros d'actions le 9 janvier, deux semaines avant l'annonce publique des pertes massives.

On ne saura peut-être jamais le fin mot de l'histoire ; l'univers des produits financiers est si enchevêtré qu'une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Et ce ne sont pas quelques inspecteurs de la Brigade financière, si bien intentionnés soient-ils, qui pourront démêler un écheveau soigneusement assemblé par des centaines de professionnels compétents de manière à ce que soit préservée l'opacité propre à cette branche florissante de l'économie capitaliste.

En attendant, la déposition de Kerviel pendant sa garde à vue a commencé à jeter un rai de lumière sur les pratiques courantes dans le milieu des traders. C'est en effet dans le but de glaner une prime annuelle de 300 000 euros que Jérôme Kerviel aurait échafaudé son opération, lui qui avec ses 50 000 euros annuels de salaire de base n'était qu'un sans-grade de la profession. Il a assuré aux enquêteurs, ce que l'on n'a pas de mal à croire, que les pratiques telles que le dépassement des sommes autorisées étaient courantes et que bien des traders, dans toutes les banques, procèdent de la même manière avec l'assentiment tacite de leur hiérarchie. Quand l'un d'eux échoue, cela fait les gros titres, mais les autres sont récompensés.

Jérôme Kerviel est désigné comme la brebis galeuse. Mais personne ne met en cause l'honorabilité des gros actionnaires qui, quand tout se passe bien, encaissent la plus grosse part, et de loin, de l'activité des traders.

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