Le 24 mars 1976 : L'Argentine sous la botte des militaires23/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1964.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Le 24 mars 1976 : L'Argentine sous la botte des militaires

Il y a trente ans, le 24 mars 1976, les militaires argentins s'emparaient du pouvoir. Conduite par le général Videla, la junte militaire mettait un terme au deuxième gouvernement péroniste, inauguré par le retour de Perón en 1973 et présidé après sa mort, en 1974, par sa dernière femme, Isabel.

Ce coup d'État militaire, le septième depuis 1930, était bien différent de ceux qu'avait connus le pays, par exemple, entre 1955 et 1973, où l'armée intervenait surtout pour modifier le cours de la vie politique, en déposant tel président ou tel général en place, pour le remplacer pas forcément par un militaire et composer avec la CGT péroniste. Ainsi, en 1963, elle avait imposé l'ex-président de la Chambre des députés.

Contre le mouvement ouvrier

Mais, en 1976, l'enjeu du putsch était différent. Il s'agissait de mettre un terme à l'agitation politique que le gouvernement d'Isabel Perón s'était avéré incapable de juguler, et particulièrement d'en finir avec la combativité d'un mouvement ouvrier qui, depuis le soulèvement des métallurgistes de la ville de Cordoba en 1969, avait mené de nombreuses luttes, dont certaines avaient échappé au contrôle de la bureaucratie syndicale de la CGT péroniste. En juillet 1975, les travailleurs en lutte avaient imposé d'importantes concessions en matière de salaires. Avec la crise du péronisme, la situation laissait la classe ouvrière et l'armée face à face.

Pour les possédants argentins, les Companc, les Macri, les Fortabat, etc., aujourd'hui encore les maîtres du pays, et pour leur allié l'impérialisme américain, l'intervention brutale des militaires semblait la meilleure solution.

Le PC argentin, lui, s'était convaincu, comme il ne cessa de le répéter par la suite pendant la dictature, que la situation antérieure au putsch exigeait un gouvernement de coalition associant civils et... militaires. Pourtant, au Chili, le dernier gouvernement d'Allende était sur ce modèle et n'avait pas empêché le putsch de Pinochet! Mais le PC proposa ce qu'il appelait une "coalition démocratique" le jour même où, dans la nuit, les militaires s'emparèrent du pouvoir. Par la suite, il continua de voir dans le dictateur Videla un représentant de l'"aile modérée" de l'armée!

Une répression féroce

La répression que celui-ci dirigea fut pourtant féroce. Les militaires, qui disaient faire la "guerre au marxisme", cherchèrent à faire disparaître ceux qui s'étaient mis en avant dans les luttes, les syndicalistes des entreprises, les étudiants ou les lycéens actifs, les membres des groupes de gauche ou d'extrême gauche, ainsi que des avocats ou des journalistes, opposants connus.

La répression fit 30000 victimes, torturées puis froidement assassinées. Des groupes de prisonniers, drogués pour qu'ils n'aient pas conscience de leur sort, étaient jetés d'avions dans le Rio de la Plata. Les militaires se livrèrent même à un trafic d'adoption de bébés nés en prison, dont les parents, militants, avaient été assassinés.

Les militaires rêvaient de revenir à ce qu'ils considéraient comme l'âge d'or, les années d'avant 1930 où l'Argentine était productrice de matières premières pour l'industrie agro-alimentaire et où l'industrie ne pesait guère.

En quatre ans de dictature, le nombre d'ouvriers d'industrie passa d'un million à 700000 personnes. Un demi-million de travailleurs du secteur public perdirent leur emploi. Le syndicat de l'automobile perdit ainsi 36000 membres, celui du textile 80000. Les droits et les moyens des syndicats furent réduits à ceux de la bureaucratie dirigeante, épargnée par les militaires.

En conséquence, la part des travailleurs dans le revenu national fut considérablement réduite. Elle représentait 50% en 1976, mais seulement 30% quatre ans plus tard. Malgré tout, chaque année, il y eut des grèves pour obtenir des augmentations de salaires et les travailleurs eurent parfois gain de cause, au moins partiellement. Il y eut même une journée nationale d'action en 1979. Même divisée en de nombreuses fractions, la CGT restait l'aile marchante du parti péroniste.

La répression contre les premières mères des militants disparus, qui protestèrent contre le sort fait à leurs enfants, ne permit pas plus d'étouffer cette protestation. Ces femmes prirent l'habitude de manifester chaque jeudi devant le palais présidentiel, place de Mai, et furent surnommés les "folles de la place de Mai".

La chute et la préservation des militaires

À partir de 1981, les militaires étaient sur la défensive et certains d'entre eux envisageaient une alliance avec une fraction de la CGT pour se maintenir en place. Leur échec dans la guerre des Malouines, face à la Grande-Bretagne en 1982, entraîna leur chute. Le président radical Alfonsin (1983-1989), qui prit la suite, préserva l'armée de ceux qui exigeaient un châtiment pour ses crimes. Le péroniste Menem prit le relai, jusqu'en 1999. Lui aussi ménagea les militaires, qui bénéficièrent de deux lois leur permettant d'échapper à toute poursuite, à l'exception de l'adoption des enfants de militants. Il reprit aussi les privatisations là où les militaires les avaient laissées, ce qui conduisit au krach économique de décembre 2001, dont les classes populaires furent les principales victimes.

Mais si la dictature a fait disparaître des milliers de militants ouvriers, elle n'a pas fait disparaître l'idée que, par la lutte, les exploités ont les moyens de défendre leurs intérêts et d'imposer leurs exigences.

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