Après avoir fait licencier ses ouvriers dans le cadre d’une escroquerie : Un grand patron incarcéré... mais les ouvriers déboutés02/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1961.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Après avoir fait licencier ses ouvriers dans le cadre d’une escroquerie : Un grand patron incarcéré... mais les ouvriers déboutés

Vendredi 24 février Michel Coencas, 52e fortune de France, dirigeant de la Financière du Valois et ex-patron du Groupe Valfond, qui a totalisé jusqu'à 13000 salariés, était écroué à l'audience de la 15echambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, condamné à deux ans de prison, dont six mois avec sursis.

Ce jugement était la suite de la plainte déposée contre leur ancien patron par des ouvriers licenciés dans le cadre de cette escroquerie. Mais les 27 ouvriers, à l'origine de cette procédure, qui depuis plus de dix ans réclamaient justice, se voyaient déboutés par le même jugement de leur demande d'indemnisation, sans même que le tribunal donne d'arguments pour ce rejet... sur lequel la loi ne nous permet pas de donner notre avis! Par ailleurs, pour les quatre cent millions de francs que Coencas a détournés, il n'est condamné qu'à deux cent mille euros d'amende et garde le reste, soit près de 61 millions d'euros.

Seule la ténacité des salariés a permis la mise à jour des relations entre ce grand patron, l'État, les hommes politiques et la justice.

Michel Coencas, protégé de la famille Peugeot, a pu construire sa fortune sous l'aile protectrice de grands groupes industriels qui lui ont rétrocédé pour rien des usines dont ils voulaient se débarrasser. Fort de ces protections et de celles qu'il a pu s'acheter, il a, en marge même de la loi, construit un empire industriel. Il était l'ami de Tapie avec qui il avait un avocat commun, un certain Jean-Louis Borloo... et était même président du club de football de Valenciennes au moment de l'affaire OM-Valeciennes.

Première alerte en 1995: Coencas est incarcéré, mais les poursuites sont stoppées par le ministre du Budget, un certain Nicolas Sarkozy. Se croyant donc intouchable, il fait déposer le bilan d'une de ses entreprises, Affinal, en l'ayant artificiellement chargée de dettes, à hauteur de 400 millions de francs, puis la fait racheter par un prête-nom, qui la lui rétrocédera très vite pour rien, une fois allégée de ses dettes et de... 150 salariés de l'usine de Béthisy-Saint-Pierre, dans l'Oise, et de celle de Nommay, dans le Doubs, jetés à la rue aux frais de la collectivité.

Mais les salariés de Béthisy ne sont pas laissé faire et ont fait appel au Syndicat Démocratique Chausson de Creil pour dénoncer la manoeuvre. L'enquête fit apparaître que toute une partie du tribunal de commerce était sous la coupe de Coencas. Les salariés imposèrent ensuite au repreneur un plan de reprise du personnel licencié, accord qui ne fut pas respecté quand Coencas reprit l'entreprise.

Les salariés portèrent plainte en 1997, à un moment où les affaires politico-financières défrayaient la chronique. Leur plainte aboutit à la confirmation de tout ce qu'ils avaient dénoncé.

La procédure de licenciement fut enfin annulée en 1999 par le tribunal de grande instance de Nanterre et, en 2002, le juge départiteur des prud'hommes ordonna le paiement des salaires depuis 1995. Mais la Cour d'appel infirma ce jugement. Quant à la Cour de cassation qui se prononça en 2005, non seulement elle ne cassa pas le jugement en appel mais elle interdit dorénavant à tous les salariés de contester les décisions, mêmes illégales, prises dans le cadre d'un dépôt de bilan.

Entre temps, Coencas avait revendu, d'une façon plus que trouble, tout son patrimoine industriel, le Groupe Valfond, à l'Union des Banques Suisses, qui lui racheta 1,8 milliard de francs en cash la totalité de ses actions et procéda au dépeçage du groupe, dont des parties furent rétrocédées entre autres, à des hommes de paille de Coencas, licenciant les travailleurs par milliers. Alors que les poursuites pénales contre lui suivaient toujours leur cours, Michel Coencas s'était fait nommé depuis 2001 ministre plénipotentiaire de la Gambie auprès de l'Unesco, pour se protéger par l'immunité diplomatique.

En 2005, à la suite d'un changement au parquet de Nanterre et de la nomination d'un nouveau juge d'instruction, les poursuites contre la plupart des inculpés furent abandonnées ainsi qu'une bonne partie des charges contre Coencas lui-même. Du coup Coencas renonça à son immunité diplomatique... et vient ainsi d'être condamné alors que les salariés qui s'étaient portés partie civile ont été déboutés.

Les travailleurs, après plus de dix ans de rebondissements judiciaires, ont poursuivi leur action sans illusions sur l'attitude des autorités.

Certes, ils se doutent que leur ancien patron ne devrait pas rester bien longtemps en prison à la suite de son appel mais ils ne regrettent pas d'avoir mené jusqu'au bout leur action judiciaire. Elle aura au moins permis de mettre à jour le fonctionnement et la pourriture ordinaire de cette société, de son appareil d'État et de ses hommes politiques.

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