Leur société

Banlieues : Villepin et ses "réponses" éducatives

Ceux qui attendaient des réponses concrètes de l'intervention du Premier ministre le 7 novembre, alors qu'il avait pour seule ambition de tenter de désamorcer la crise dans les banlieues, en sont restés sur leur faim. Sur le problème clé de l'éducation, tandis que les parents, les voisins, les enseignants, les jeunes eux-mêmes stigmatisent les manques criants qui se reflètent dans l'attitude désespérée et absurde de nombreux jeunes des quartiers populaires, Villepin suggère tout au plus deux pistes, censées sans doute attaquer le sujet par les deux bouts.

Des bourses au mérite et des "internats d'excellence" s'adresseraient, pour les récompenser, aux "bons" jeunes, ceux qui poursuivent des études longues et brillantes, ceux pour lesquels déjà on avait réservé des places dans les filières "nobles", comme Sciences-Po. À l'autre extrémité, pour les jeunes qui ne supportent plus l'école, ou qu'elle ne supporte plus, il serait question d'abaisser l'âge de la fin de la scolarité obligatoire de 16 ans, comme la loi l'a fixé depuis 1959, à 14 ans. À partir de cet âge, les jeunes en rupture d'école pourraient donc entrer en apprentissage chez un patron.

Voilà toute l'audace des propositions du Premier ministre! Certes, on ne peut exclure que certains gamins de 14 ans, fâchés avec l'institution scolaire et ses contraintes, voient comme une solution la découverte du monde du travail et l'apprentissage d'un métier, ni que leurs parents puissent préférer cette solution au chômage qui attend leurs enfants. Encore faudrait-il que ces enfants trouvent un artisan ou un patron prêt à les accueillir et à leur consacrer suffisamment de temps et de patience pour les former, et non à profiter de l'occasion pour surexploiter une main-d'oeuvre bon marché.

Mais proposer l'apprentissage à 14 ans comme un progrès, c'est vraiment traiter par le mépris le plus total le problème de l'éducation de cette jeunesse des quartiers pauvres, problème profondément lié à l'impasse sociale dans laquelle le chômage massif érigé en système maintient la grande majorité des enfants et des travailleurs pauvres de ce pays.

Alors que toute une partie de l'éducation, au sens large du terme, est dévolue à l'école, dont le rôle est de compléter, d'élargir ou parfois de compenser ce que la famille a -ou n'a pas- transmis à l'enfant, le fonctionnement de celle-ci est de plus en plus, depuis des années, freiné par des restrictions budgétaires, la plupart du temps à peine voilées par des considérations pédagogiques fallacieuses.

Pour les statisticiens du ministère de l'Éducation comme pour tout un chacun, il est évident que l'insuffisance de moyens dans les quartiers pauvres est la première cause du "grand échec scolaire", ainsi que les spécialistes qualifient la situation des 5 à 7% des jeunes de 17 ans quasiment illettrés, ou des 150000 jeunes qui quittent chaque année l'école sans avoir décroché aucun diplôme et sans aucune qualification. Tous constatent, comme l'ont fait avant eux les parents et les enseignants, que dix années de scolarisation, entre l'âge de 6 ans et la sortie du collège ou du lycée professionnel, n'ont pas permis au jeune de surmonter les handicaps culturels liés à son environnement familial ou social "défavorisé". Mais, au lieu de multiplier les possibilités d'accueil, dès la petite enfance, dès l'âge de 3 ans, des enfants des couches les plus pauvres, dans les quartiers déshérités où le taux moyen officiel du chômage est de 20,7%, on ferme des sections de maternelle et on entasse les petits dans des classes de 25 ou 30 enfants. Une seule institutrice, à certains moments aidée d'une assistante, doit gérer l'apprentissage de plusieurs dizaines d'enfants de langues différentes et leur enseigner, outre l'éveil à leur environnement, le B.A.-BA de la vie collective!

Ni l'école élémentaire où sont inculqués les "fondamentaux" (lire, écrire, compter) dont les derniers ministres de l'Éducation ont fait tant de cas, ni le collège, ne disposent des moyens réels nécessaires à donner à ces jeunes les outils et le goût pour apprendre et se forger eux-mêmes une curiosité qui nourrira leur culture. Des moyens en locaux mais surtout en adultes nombreux, formés, motivés, enseignants de toutes matières, éducateurs et bibliothécaires, personnels d'entretien, tous pouvant contribuer à transmettre à de petits groupes de jeunes les règles élémentaires de vie en société, le sens de la solidarité sociale et aussi la capacité à apprendre qui leur permettra de poursuivre des études choisies.

D'autant que ces jeunes des quartiers pauvres que les ministres découvrent les uns après les autres avec un certain dégoût, qu'ils les baptisent "sauvageons" ou "racailles", n'ont pas aujourd'hui la perspective, après des études même du niveau de l'ex-certificat d'études primaires, de trouver un emploi permettant d'accéder à l'indépendance financière à laquelle ils aspirent.

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