Leur société

L’appel des «Indigènes de la République» : Dénoncer le colonialisme... ou renforcer le communautarisme ?

«Nous sommes les indigènes de la République...». C'est le titre d'un texte, diffusé sur Internet, qui appelle à la convocation d'«Assises de l'anticolonialisme». En deux mois, il a reçu des milliers de signatures, dont celles d'intellectuels et de responsables politiques de gauche et même d'extrême gauche.

Les initiateurs de l'appel, qui se proclament porte-parole des «descendants d'esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d'immigrés», dénoncent la situation révoltante qui est aujourd'hui celle de nombreux fils et filles d'immigrés issus des anciennes colonies françaises. «Discriminés à l'embauche, au logement, à la santé, à l'école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l'immigration post-coloniale sont les premières victimes de l'exclusion sociale et de la précarisation. (...) Contrôles au faciès, provocations diverses, persécutions de toutes sortes se multiplient tandis que les brutalités policières, parfois extrêmes, ne sont que rarement sanctionnées par une justice qui fonctionne à deux vitesses.»

On ne peut qu'être d'accord avec ce constat des conditions de vie dans les banlieues les plus pauvres. De même, on ne peut qu'être d'accord avec l'appel, quand il dénonce les crimes qui ont jalonné l'histoire de la colonisation: les massacres perpétrés par les armées coloniales, la spoliation des richesses des colonies, l'utilisation des soldats d'Afrique comme chair à canon pendant les deux guerres mondiales...

Mais derrière ces dénonciations indiscutables on trouve malheureusement autre chose. En opposant «Les filles et fils de colonisés et d'immigrés» à «La France» -un terme qui ne veut rien dire ne serait-ce que parce qu'il confond volontairement les travailleurs et le baron Seillière- les initiateurs de cet appel semblent ignorer que le fond du problème est l'opposition entre, d'un côté, les plus pauvres et, de l'autre, ceux qui détiennent les richesses et le pouvoir et imposent aux premiers des conditions de vie lamentables. Comment peut-on réduire les choses à une telle opposition entre «Les filles et fils de colonisés et d'immigrés» et «La France», comme s'il s'agissait d'un tout? Ne savent-ils pas que, même dans les villes ouvrières où il y a eu peu d'immigration en provenance du Maghreb ou d'Afrique Noire, les victimes du chômage et de l'exclusion sont bel et bien présentes même si elles ont majoritairement la peau claire? Et ils n'ignorent sûrement pas non plus que dans les anciennes colonies, là où ne vivent donc que des anciens colonisés et leurs descendants, il existe aussi une opposition criante entre les plus pauvres et les plus riches!

En occultant ainsi les oppositions de classes et en s'appliquant à tout éclairer à la lumière du nationalisme, ceux qui se proclament les «indigènes de la République» renforcent en fait le communautarisme. De plus, quand ils écrivent: «Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi antifoulard est une loi d'exception aux relents coloniaux», ils introduisent volontairement un autre combat. En vilipendant la possibilité qui est offerte aux jeunes filles d'origine musulmane d'échapper, au moins à l'école, au port du voile, c'est-à-dire à l'oppression des hommes de leur famille et de leur milieu, ils montrent pour le moins de la complaisance vis-à-vis des religieux intégristes, c'est-à-dire d'obscurantistes qui considèrent les femmes comme des sous-hommes et voudraient leur imposer cette marque de leur oppression.

On ne combat pas le racisme par le communautarisme. Et, parmi les signataires de cet appel, ceux qui se disent de gauche ou d'extrême gauche et le soutiennent font preuve d'inconscience, voire de démagogie, en s'accrochant ainsi aux basques des barbus.

Partager