Toulouse : Airbus A380, l'envers du décor18/11/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/11/une1894.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Toulouse : Airbus A380, l'envers du décor

Les médias n'ont de cesse de glorifier la production du "plus grand avion du monde", l'A380, conçu et réalisé par Airbus, filiale du consortium européen EADS.

Cet avion, comme tous les Airbus, est fabriqué dans plusieurs pays européens notamment l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne et la France. À Blagnac, petite ville de la couronne toulousaine, les différents tronçons sont assemblés dans un immense hall de montage construit sur le site qualifié par la presse de "l'un des plus grands sites de production d'avions civils au monde".

Cette zone industrielle baptisée pompeusement "Aéroconstellation", construite pour le gros porteur d'Airbus, devait générer "10000 emplois, peut-être plus", d'après la presse locale. Et c'est au nom de ces possibles emplois que des millions d'euros ont été versés par les collectivités locales (région, département et Communauté d'agglomération de Toulouse) pour en financer la construction. À ce jour, on est loin du compte.

Derrière la façade que les journalistes et bien des politiciens locaux veulent rayonnant, il y a la cour et l'arrière-cour, beaucoup moins glorieuses. Là, des centaines de travailleurs s'échinent sur la chaîne avec des conditions de travail, d'horaires et de salaires difficiles.

Dans le cadre de cette politique visant le moindre coût, Airbus a de plus en plus recours à la sous-traitance sur le site d'assemblage lui-même. Une kyrielle de petites et moyennes entreprises telles qu'Athos, Athis, Labinal, Latelec , 3A, Sefka... se disputent ce marché. Et on peut dire sans trop se tromper que, sur un effectif de 700 ouvriers à la chaîne, le tiers sont des sous-traitants. Ce sont eux les plus mal lotis, bien que les travailleurs d'Airbus ne soient pas des privilégiés, loin de là. Certains sont en CDI, beaucoup en CDD et au moins la moitié sont des intérimaires. Main-d'oeuvre précaire considérée comme taillable et corvéable à merci.

Il est par exemple de règle que, pour être embauchés, les salariés doivent s'acheter l'outillage de base nécessaires. Comme les travaux demandés peuvent être nombreux et variés, le coût de ce matériel est différent en fonction de la profession. Il peut aller, par exemple pour les ajusteurs-mécaniciens, jusqu'à 1500 euros environ. Les entreprises de sous-traitance refusent de fournir quelque outillage que ce soit (même le petit outillage, tel que les forêts, les alésoirs, les embouts de tournevis...) en prétextant que la prime d'outillage versée sur la paye suffit! Pourtant cette prime, qui est de l'ordre de 0,3 euro de l'heure (42 euros/mois environ), est dérisoire, insuffisante pour renouveler du matériel coûtant fort cher: une perceuse pneumatique d'occasion revient à 250 euros. En outre cet outillage, qui est rangé dans une caisse personnelle, est l'objet de convoitise. Il n'est pas rare de voir son matériel disparaître. Or, sans outillage, pas de travail.

Question outillage spécial, c'est le système "D " qui prévaut. Ainsi pour monter des rivets spéciaux (LPG) il faut courir pour trouver la machine adéquate et, quand on l'a trouvée chez un autre sous-traitant, il faut encore se la faire prêter. Sinon, il faudra justifier que le travail n'est pas fait...

Question conditions de travail, il n'est pas rare de se retrouver par exemple à dix dans la soute électronique à faire du perçage, du rivetage, à monter des petits équipements, les uns sur les autres. Car il y a tant de retard, dans les autres usines de fabrication des tronçons, que les opérations de rattrapage se font à Toulouse.

Pour les salaires, ce n'est pas mieux. Les patrons de la sous-traitance rognent sur tout. Par exemple, un câbleur intérimaire chez Labinal touche de 8,67 à 9,50euros de l'heure (13e mois compris) + 3euros par jour de prime panier et 20euros mensuels de prime de déplacement. Il faut qu'il s'achète sa caisse à outils: 300euros, que le patron lui rembourse à raison de 60centimes d'euros par heure! Bref, des salaires pas extraordinaires pour des horaires de travail en équipe, avec des heures supplémentaires à gogo, au pied levé, y compris le dimanche ou la nuit!

Dopé par sa filiale Airbus, EADS vient d'annoncer une augmentation de 147% de son bénéfice net sur neuf mois. Cela ne peut être qu'au détriment des travailleurs, et notamment des sous-traitants et des intérimaires qui savent ce que voler veut dire.

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