Exploiteurs et troupes françaises, hors de Côte-d'Ivoire et d'Afrique !18/11/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/11/une1894.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Exploiteurs et troupes françaises, hors de Côte-d'Ivoire et d'Afrique !

Chirac l'a décidé: l'armée française reste en Côte-d'Ivoire. "Nous ne voulons pas laisser se développer une situation pouvant conduire à l'anarchie ou à un régime de nature fasciste". Mais, depuis la conquête coloniale, l'armée française n'a jamais quitté la Côte-d'Ivoire, et la "situation d'anarchie" est pourtant là. Quant à la nature du régime, le président ivoirien Gbagbo n'a pas eu de mal à rappeler à Chirac que les gouvernements français ont soutenu pendant près de quarante ans Houphouët-Boigny, qualifié alors de "sage de l'Afrique", malgré un régime de parti unique où les oppositionnels étaient emprisonnés, torturés, voire assassinés.

Gbagbo n'est ni meilleur ni pire que cette liste de dirigeants africains, de Bokassa à Bongo, soutenus par Paris tant qu'ils maintenaient l'ordre dans leur pays et laissaient les groupes français faire des affaires.

Il faut le cynisme du dirigeant d'une puissance impérialiste pour attribuer à son protégé local la responsabilité de la détérioration de la situation. Car si cette ancienne colonie française, la plus riche pendant longtemps, est aujourd'hui en situation de guerre civile, avec un territoire coupé en deux, la France y a une large part de responsabilité.

Elle n'a rien trouvé à redire à la démagogie des clans politiques rivaux pour le pouvoir, tant qu'elle n'était développée que contre les travailleurs et les paysans migrants venus du Burkina voisin et du nord du pays, et pas contre les Français.

Mais la France est responsable de la situation en Côte-d'ivoire pour une autre raison, bien plus profonde. Ce pays passait pour riche à cause de ses ressources naturelles, cacao et café notamment, mais aussi parce que c'est par lui que transitaient les affaires réalisées dans les autres anciennes colonies française de la région.

De grands groupes capitalistes français dominent l'économie: Bouygues pour les nombreux chantiers de construction ou pour la distribution de l'eau dans les quartiers aisés de la capitale; Bolloré qui a mis la main sur le port d'Abidjan, le plus important de cette région d'Afrique, sur l'unique chemin de fer; et bien d'autres. Dans leur ombre, sont venus de France ou d'ailleurs ceux qui cherchaient à faire fortune. Et, autour d'eux, des cadres petits et grands, des restaurateurs, des hôteliers, des propriétaires de boutiques qui, comme l'affirment ceux qui ont dû partir ces jours derniers, ont pu avoir là-bas une vie qu'ils ne pouvaient espérer ici: villas, piscines et serviteurs, noirs, bien sûr.

Mais la vie que les rapatriés ont dû abandonner, la majorité des Ivoiriens ne pouvaient même pas en rêver. La prospérité de la Côte-d'Ivoire n'a jamais profité à la majorité de sa population. À deux pas des buildings et des banques du centre et des boutiques de luxe des quartiers aisés, ont poussé des bidonvilles lépreux, avec leurs centaines de milliers de pauvres pour qui la survie quotidienne pose problème.

Alors, il ne faut pas s'étonner que ce qui, dans la bouche de Gbagbo ou de sous-fifres, n'était que démagogie contre les étrangers, comme certains dirigeants d'ici savent en faire, ait trouvé du répondant dans une population pauvre. Ceux qu'on a vus descendre, hagards, des avions ne sont sans doute pas les principaux profiteurs du pillage de la Côte-d'Ivoire par l'impérialisme français. Ces derniers siègent dans les conseils d'administration des grandes sociétés et beaucoup n'ont jamais mis les pieds en Côte-d'Ivoire. Mais on ne mène pas impunément une vie de privilégiés dans un pays où la misère est partout.

En réaffirmant la présence de l'armée française, la France impérialiste tient à affirmer qu'elle veut continuer sa domination. Les patrouilles françaises dans les rues d'Abidjan ne diminueront pas les tensions. Elles ajouteront une humiliation de plus à celles du passé et du présent. Et chaque Ivoirien tué par l'armée française ajoutera de la haine à la haine.

La France, ses exploiteurs et les militaires pour les protéger n'ont rien à faire en Côte-d'Ivoire!

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 15 novembre 2004

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